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Les meilleurs films internationaux de 2015
Crédit: Johana Laurençon

Certains se souviendront de 2015 comme de l’année où Star Wars a fracassé tous les records en matière de placements de produits dérisoires, où Universal s’est planté solide dans son adaptation d’une chasteté aberrante des 50 nuances de Grey et où Katniss a finalement tranché entre ses deux guerriers du cœur, Peeta et Gale. Mais ce fut aussi l’année où Denis Villeneuve a été louangé à Cannes (pour Sicario), où Noah Baumbach a livré deux superbes portraits de New-Yorkais en crise existentielle (Mistress America et While We’re Young), où Mia Hansen-Løve a su transposer à l’écran tout le lyrisme et l’amertume de la scène électronique (dans Eden) et où les gars de Borderline Films (Martha Marcy May Marlene, Afterschool) ont su s’imposer dans l'écosystème indie américain avec l’excellent James White. Pour le reste, on t’a préparé ces dix suggestions de fictions parues en 2015 qui valent impérativement le détour.  

 
1. Carol

L’amour entre deux femmes qui s’aiment dans une société compliquée qui ne le permet pas, et les difficultés qui chaque fois semblent tout faire pour étouffer la flamme qui brûle. Todd Haynes (I’m Not There, Far from Heaven) perfectionne l’art de raconter une histoire au cinéma en revisitant cet univers qu’il affectionne tant des années 50, ainsi que cette tendance au romantisme tragique. L’objet cinématographique propose un build up enivrant d’émotions, mené par une Cate Blanchett exquise et une Rooney Mara en perte d’innocence. Une esthétique visuelle irréprochable travaillée dans les moindres détails. La grâce d’un cinéma réalisé avec passion. (Dustin Segura-Suarez)
Lire notre critique de Carol

 
2. Mad Max: Fury Road

Le coup de maître de George Miller, qui ancre l’action de son film dans une fuite en plein désert d’une femme et de ses acolytes à la recherche de sa terre natale. Une chasse à l’homme enclenchée. Un Mad Max (le beau Tom Hardy) qui n’a plus rien à perdre. Le spectacle coupe le souffle et te fait lever de ton siège pour applaudir à grands cris l’enchaînement des actions. Les manipulations par images de synthèse évitées. Du cinéma à la source même de son essence. Des cascades fucked up. Des chars montés à la puissance mille. La femme forte et persévérante en avant-plan. Charlize Theron en bombe prête à tout faire exploser. Les sons grinçants de la guitare électrique qui restent et résonnent en écho dans ta tête. (DSS)

 
3. 45 Years

La remise en question du pacte conjugal «and they lived happily ever after» a rarement été explorée avec autant d’acuité que dans ce troisième long métrage d’Andrew Haigh (Weekend, la télésérie Looking). Kate (Charlotte Rampling) et Geoff (Tom Courtenay) – un couple heureux et sans enfant – s’apprête à fêter 45 ans de mariage dans leur campagne anglaise tendre et tranquille, lorsqu’une nouvelle inattendue vient tout chambouler. Le corps d’une copine que fréquentait Geoff avant Kate, disparue lors d’un accident il y a presqu’un demi-siècle, vient d’être découvert. Le fantôme de cette relation passée viendra mettre en péril un couple qu’on croyait jusqu’alors inébranlable. Deux perfos crève-cœur d’acteurs qui traduisent inquiétude et amertume par le biais de regards fuyants, de silences qui pèsent lourd et d’un abécédaire complet de sous-entendus. (MOH)

 
4. The Tribe

L’audacieux pari de construire un film en langue des signes sans sous-titrage aucun. Laisser les corps communiquer par leurs mouvements le sens des situations. Le récit glauque d’un nouveau venu dans un lycée où il fait bon de sortir du campus le soir venu pour aller se donner au marché de la prostitution. La violence sans bruit que tu reçois en pleine face. Les plans-séquences savamment exécutés rythment les scènes du film. Une expérience peu commune. Toute la beauté de l’adolescence anéantie par la perte de l’innocence à la dérive. L’Ukrainien Miroslav Slaboshpitsky ose tout pour son film et ne se plante pas. (DSS)

 
5. Tangerine

Sin-Dee sort d’un court séjour en prison et apprend que son petit-ami (et pimp) en baise une autre. Elle perd la tête et se fait enivrer par une soif de vengeance. La suivra dans sa quête Alexandra, meilleure amie pour la vie, qui tentera en vain de calmer la colère de son amie. Le charme qui opère dans le film de Sean Baker, filmé simplement avec un iPhone, revient en grande partie au charisme de ses deux stars principales qui brillent et crachent sur des fonds d’Hollywood la veille de Noël. Des émotions à fleur de peau qui vacillent entre sensibilité et brutalité. James Ransone en pimp. Flazéda. (DSS) 

 
6. Heaven Knows What

Candy, Requiem for a Dream, Trainspotting… Dépeindre l’univers turbulent de jeunes junkies est depuis longtemps un thème de prédilection des réalisateurs indie. Mais avec Heaven Knows What, les frères Joshua et Ben Safdie atteignent un nouveau palier de puissance brute et d’authenticité déconcertante. Après avoir demandé à une héroïnomane sans-abri de mettre sur papier ses expériences insoutenables, les Safdie ont adapté son autobiographie (Mad Love in New York City) au grand écran, invitant l’auteure Arielle Holmes à jouer son propre rôle. Ce qui en découle? De la caméra à l’épaule à l’esthétique sale, des plaies ouvertes, des émotions exacerbées et des engueulades foudroyantes. En gros, un regard coup-de-poing sur la détresse de gens marginaux qui connaissent le chaos des plus complets. Les basses assourdissantes de la trame sonore font écho aux chutes brutales que vivent ces parias de la société. Holmes livre une perfo d’un naturalisme étonnant. Les frères Safdie nous livrent ici un S.O.S. cinématographique sidérant d’un amour fou sous influence. (MOH)
Lire notre entrevue avec les frères Safdie

 
7. A Girl Walks Home Alone at Night

Le cool film de l’année et le monde des vampires vu par Ana Lily Amirpour. L’errance de l’éternelle jeunesse incarnée par la vampire surnommée «the girl», qui croisera, entre deux rides de skate, son beau en devenir: Arash. Une ville glauque aux personnages plus grands que nature comme paysage. The girl veille sur la nuit pour assouvir sa soif de sang. Une mise en scène construite sur un jeu d’ombres, de noir et de blanc. Un croisement des genres entre le thriller et le western. La soundtrack qui t'envoie du rock n’ roll. Sheila Vand envoûtante et Arash Marandi en sorte de Marlon Brando des temps modernes. Un chat en important rôle secondaire. (DSS)

 
8. Ex Machina

Alex Garland, scénariste chéri de Danny Boyle (28 Days Later, Sunshine) passe à la réalisation avec cette sublime fable d’anticipation sur l’intelligence (mais aussi l’affect) artificielle et ses potentielles dérives. Dans une mise en scène hyper travaillée, avec des compositions d’une géométrie angoissante, une atmosphère de séduction furtivement futuriste et des plans à n’en plus finir d’énormes baies vitrées, cette science-fiction ressasse un tas de questions éthiques déjà abordées (voir: Blade Runner, A.I., Terminator), mais les colle à notre époque, où les percées technologiques en matière de robotique sont plus que jamais d’actualité. Oscar Isaac est magistral en PDG mégalo et créateur de l’androïde féminin dénommé Ava. Prêtant ses traits à cette dernière, la Suédoise Alicia Vikander confirme tous les bons mots qui circulent à son égard, livrant une perfo titillante, parfaitement calibrée entre machine conscientisée et femme à part entière, un peu à l’image de Scarlett Johansson dans Under The Skin. Des jeux de manipulation de haute voltige. (MOH)

 
9. P’tit Quinquin

Le saut parfait de Bruno Dumont (L’Humanité, La Vie de Jésus) dans le monde du comique. Deux enquêteurs tentent de percer le mystère des crimes de la région boulonnaise pendant que p’tit quinquin et sa gang enchaînent les mauvais coups. Dumont s’éloigne de son cinéma pour le genre, mais reste fidèle à son style. Caméra franche, mise en scène du naturel, acteurs qui n’en sont pas. Le réalisateur bascule de ses drames humains pour savamment monter une comédie et nous montrer qu’il maîtrise bien le sens du rythme qui fait rire. Répliques salaces, un univers par moments burlesque, un bon moment qui vient de se passer. (DSS)

 
10. The Assassin

Film magistral par sa mise en scène soignée qui se déploie en grande beauté pour le plaisir de regarder. Histoire (un peu compliquée) d’une jeune femme qui retourne en terre connue après plusieurs années d’éloignement, où elle a su maîtriser l’art du combat martial. La mission: tuer un proche qu’elle a déjà tant aimé. L’écoute du cœur ou de la raison. Rythme lent, tout se passe dans le ressenti de la splendeur des images. Hou Hsiao-Hsien se fout des conventions hollywoodiennes et compose son film dans un langage qui lui appartient (voir Flowers of Shanghai). Pas de grand combat, le film se pose entre chaque coup de sabre lancé et se fait encenser au rythme des séquences enchantées. (DSS)