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Le Détesteur: le monde est un endroit hostile où les idées de meurtre sont banalisées
Crédit: Audrey Szigeti

Quand la police est venue chez moi pendant les fêtes, je lui ai dit que j'avais un dossier rempli de screenshots contenant des menaces de mort et d'appels au meurtre. Elle n'a pas demandé/tenu à le voir. Ça n'a pas semblé l'inquiéter non plus.

Elle m'a demandé si je désirais porter plainte. Si j'avais des raisons de craindre pour ma vie. S'il y avait harcèlement. Si on avait pu obtenir mon adresse, téléphone ou courriel. Évidemment, je n'aurais certainement pas pu porter plainte à l'encontre de chacun des fautifs. Je m'affairais déjà à signaler un de ces bigots, de toute façon.

Non, si je lui demandais, c'est que je croyais qu'il était pour moi un devoir de dénoncer de telles menaces et pas forcément dans le but de porter plainte à titre d'individu. Juste… laisser savoir que ces menaces existent et que j'en ai conservé les preuves. Je me disais qu'il serait irresponsable de fermer les yeux sur ces gens porteurs d'un discours de haine qui manifestent ouvertement une volonté claire et assumée de tuer des gens, et ceci, relaté de manière atrocement violente.

J'ai demandé plusieurs fois : « Si je comprends bien, je pourrais menacer de tuer les gens sur Internet et m'en tirer sans le moindre tracas avec vous? »

Mais ce que j'avais devant moi, c'étaient deux policiers complètement conscients — et pris au dépourvu — d'être dépassés par leurs propres moyens. Deux agents qui m'écoutaient parler, me savaient débrouillard et avisé et qui ne pouvaient reconnaître l'absurdité du système alors que j'étais là, pourtant, à leur pointer, au fur et à mesure qu'elle se révélait à moi.

Ils se contentaient de pédaler longuement tandis que leur non verbal m'envoyait de timides signaux approbateurs. J'avais le sentiment de parler nouvelles technologies avec mon père. C'était moi l'expert et eux étaient en formation. J'ai senti qu'ils étiraient leur séjour à mon appartement jusqu'à trouver le juste mot pour m'outsmarter, me rassurer un brin et donner l'impression qu'ils n'avaient pas été tout à fait inutiles dans cette affaire. Ils répétaient les mêmes choses dans de formules différentes. Mais toujours les mêmes choses, les mêmes conseils que même mon père aurait pu m'offrir en bon capitaine évidence.

L'un d'eux me connaissait. Il était bien au fait de ce que je fais sur le web. Il savait que mon visage était bien connu et qu'on m'abordait régulièrement sur la rue, d'où mon coup de fil au 911. Je n'ai pas pris de chance. L'autre a alors suggéré: « Je me demande comment les personnalités encore plus connues, comme Mike Ward, font pour gérer ces situations. »

C'est la police qui me dit ça. Elle ouvre la question comme ça, tout bonnement, avouant au passage son impuissance, son incompréhension.

Je sais bien que la plupart des fautifs ont probablement voulu jouer aux braves sur Internet et qu'il faudrait être sévèrement con pour s'incriminer au vu et au su du monde entier, mais vous ne pensez pas qu'en les laissant menacer de mort impunément, on banalise la violence? On s'accoutume des idées de meurtre? On entretient peur, ignorance et paranoïa? On laisse des péquenauds se convaincre entre eux que des gens méritent bel et bien la mort? Et du même souffle, ne sommes-nous pas là, mains liées, à regarder le climat s'envenimer sans pouvoir rien faire?

On n'aurait probablement pas pu prévenir l'attentat terroriste de dimanche dernier. Je ne dis pas non plus qu'en « inquisitionnant » chaque épais qui menace sur le web nous pourrions éviter l'horreur. Pas aussi simple que ça. Si ça se trouve, Alexandre Bissonnette n'a peut-être même jamais menacé les gens de les tuer sur Internet.

Cela dit, le monde dans lequel nous évoluons m'occasionne de sérieux frissons dans le dos. Trump qui sévit au pouvoir, Radio X qui se borne à nier le racisme et la xénophobie, les chroniqueurs de droite qui, en empruntant un ton alarmiste comme pour indiquer que l'heure est grave, lancent sans cesse des wake-up calls destinés aux Québécois de souche. Pour ajouter à l'affreux, les illuminés et les brandisseurs de haine ne sont jamais sanctionnés, à moins qu'ils soient sur le bord de commettre l'irréversible. Pire, une fois qu'il est trop tard.

Même après la perte de vies humaines, il se trouve encore des hommes et des femmes pour se réjouir de l'attentat à la mosquée. Une tonne de screenshots circule. Certains affirment froidement et sans scrupule qu'il était temps. Qu'il en faut d'autres. C'est difficile. Ça fait mal. On se demande comment on peut applaudir l'horreur, même après coup. Quelle naïveté d'avoir pensé que le sang parviendrait à faire réfléchir les nonos.

Faire son chemin en embrassant la haine et l'intolérance m'apparaît bien plus sensé et safe que si l'on fait l'odieux choix de lutter contre. L'atmosphère est hostile aux penseurs et préconiseurs de nuances, de progrès et de paix et cruellement sympathique à l'égard de ceux qui refusent qu'on les appelle racistes, xénophobes et porte-étendards de la haine. Le simple recours à l'exact qualificatif entraîne l'exacerbation de la haine. On ne peut plus qualifier un raciste de raciste. Raciste est le nouveau mot « nègre ». On est appelés à mettre des gants blancs pour que celui qui appelle au meurtre d'un Arabe ne se sente pas lésé par le « R Word ».

Oh mais, on peut s'opposer au port du voile. Légitime. Ne mêlons pas tout. Je ne brandis pas la carte de l'islamophobie aussitôt qu'on pointe une religion du doigt. Ça se défend. La laïcité de l'État est souhaitable. C'est la haine de l'autre qui est ici dénoncée.

Quand on tient pour responsables la radio-poubelle et les chroniqueurs islamophobes, on ne joue pas les smartass atterrés qui se cherchent absolument un coupable de dernière minute. No-non. Le « coupable », on le prévient depuis des mois, des années. On savait depuis longtemps. Chaque appel à la résistance anti-islamisation nous faisait appréhender le pire.  Dès qu'on a pu lire côte à côte les mots TIREUR et MOSQUÉE, des noms nous sont venus spontanément en tête. Tout le monde. On a serré les poings.

Personne n'a poussé Alexandre Bissonnette au terrorisme. Il est l'unique responsable des crimes qu'il a commis. Mais entendons-nous : le monde est désormais un endroit où les idées de violence tendent à être normalisées une fois derrière l'écran. Et ceux qui appellent à la tolérance sont rapidement rabroués et affublés de l'étiquette de guerriers de la rectitude politique.

On se sent comme… abandonnés. Comme si, quelque part, Alexandre avait nourri ses sombres pensées dans un environnement qui ne lui était pas défavorable du tout. Dans lequel des menaces de mort ne sont pas plus alarmantes que ça. 

Au final, menacez, appelez au meurtre et haïssez tant que vous voulez. La police ne peut rien contre. Elle vous conseillera de bloquer vos détracteurs. Le Président des USA vous fournira des munitions et les chroniqueurs/animateurs ne vous en tiendront pas tellement rigueur. Reste plus qu'à s'adapter à ce monde nouveau qui semble bien vouloir favoriser l'intolérance. Apprenons à nager dans la haine tout en scandant que nous ne la cautionnerons jamais. Essayons d'écouter, de discuter, malgré tout.