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SXSW Film 2014: Nos coups de cœur, dont «Boyhood», «The Heart Machine» et «Beyond Clueless»
Crédit: John Gallagher Jr. dans "The Heart Machine"

Si l’on se fie aux grands titres, on pourrait croire que la vingt-septième édition de SXSW se résume aux interventions via vidéoconférence du dénonciateur de la NSA Edward Snowden et du cofondateur de WikiLeaks Julian Assange, de la toujours racoleuse Lady Gaga arrosée de vomi sur scène, de l’arrestation de Tyler The Creator pour incitation à l’émeute ou de la nouvelle série de présentations «keynote» en cinéma lancée avec Lena Dunham.
 
Oui, on peut se moquer de la grand-messe texane de la culture «indie» et de la haute technologie pour son penchant corpo désormais pleinement assumé ou pour les hipsters assez débiles déambulant 6th Street en quête de validation. Mais malgré une montagne de stunts publicitaires plus ou moins réussis, SXSW poursuit sa mission de reconnaître et de célébrer le DIY à son meilleur. Le festival a d’ailleurs servi de tremplin à une génération de cinéastes issus de la vague «Mumblecore» (pensons aux frères Duplass, à Joe Swanberg, à Greta Gerwig et à Andrew Bujalski) ainsi qu’à Dunham elle-même, qui a raflé le prix du jury en 2010 pour son long métrage Tiny Furniture.
 
Contrairement à Sundance, cette autre grande célébration du cinéma indie américain qui s’oriente dangereusement vers les films à vedettes, les programmateurs de SXSW prônent le naturalisme et l’authenticité (voir Short Term 12, grand gagnant de 2013), les micro-budgets, le politiquement incorrect et les concepts casse-gueules. Alors que le festival prend fin ce week-end, on revient sur quelques longs métrages inoubliables dont vous entendrez beaucoup parler au cours des prochains mois. Et toutes nos félicitations à Monia Chokri, qui est repartie avec le prix du Meilleur court métrage de fiction pour Quelqu’un d’extraordinaire
 
 
1. Boyhood
de Richard Linklater


Notre grand coup de cœur de SXSW. Cette œuvre magistrale et panoramique dépeint l’expérience fragmentée d’un enfant curieux qui deviendra ado angoissé puis jeune adulte doué devant la caméra sensible de Richard Linklater (trilogie Before Sunrise/Sunset/Midnight, Waking Life). Un projet extrêmement ambitieux dont le tournage s’est étalé sur une période de 12 ans (!!), Boyhood se démarque d’abord par sa structure inusitée, très peu exploitée dans l’univers de la fiction. Le documentariste Michael Apted, pour sa part, suit les joies et les peines de «vrais» Britanniques dans sa série Up, projet qui n’a d’ailleurs pas encore tiré sa révérence.
 
Après des critiques dithyrambiques à Sundance et un prix de la réalisation à Berlin, la table était mise pour le homecoming scintillant de Boyhood à SXSW – c’est où Linklater habite et où la majeure partie du tournage s’est concentrée. Malgré les potentiels pièges d’un projet qui s'étale sur 12 ans, très peu de fausses notes à signaler ici. Boyhood nous raconte l’histoire de Mason (un très émouvant Ellar Coltrane, qu’on compare déjà à River Phoenix et Dane DeHaan), qui doit composer avec un père activiste, bohème et plutôt absent (Ethan Hawke – qui d’autre?), une mère un peu égarée qui se rabat sur des copains abusifs et alcoolos (Patricia Arquette) et une sœur aînée asez baveuse (interprétée par la fille du réalisateur). Linklater évite tous les gros clichés du genre «coming of age» (premier baiser, première expérience sexuelle) pour se pencher sur des moments plus anodins qui évoquent le passage à l'âge adulte, l'idée de vieillir et de se découvrir dans toute sa magie et sa complexité. La bande sonore reste d’ailleurs fidèle aux années de tournage, de Weezer et Sheryl Crow au Get Lucky de Daft Punk en fin de parcours.
 
2. The Heart Machine
de Zachary Wigon

La prémisse sur laquelle repose cet ingénieux thriller romantique ne pourrait être plus pertinente dans le contexte de SXSW, Mecque incontestée des nouvelles technologies. Un gars (John Gallagher Jr. de Short Term 12) et une fille (Kate Lyn Sheil de House of Cards) entament une relation à distance via Skype: il habite Brooklyn, elle est en stage à Berlin pour les six prochains mois. Mais petit à petit, le doute s’installe quant à son séjour en terre allemande – la sirène d’ambulance qu’il décèle lors d’une conversation avec elle n’est-elle pas celle de New York? la photo d’elle «taguée» sur Facebook n’a-t-elle pas été prise dans un lounge de Williamsburg? –  et l’enquête obsessive du gars s’intensifie et devient vite malsaine.
 
Ce premier film de Wigon (un critique de cinéma pour Village Voice et Slant) propose un portrait troublant et fort perspicace de la solitude urbaine et de notre génération portée aux sites de rencontres (dans le film, l’omniprésent Tinder devient «Blender»). Dans The Heart Machine, de jeunes gens un peu maladroits et timides (Sheil est entièrement convaincante dans le rôle d’une fille qui intériorise tout) se replient sur le monde virtuel pour créer des liens plus ou moins vrais. Un film qui assure un bel avenir au réalisateur ainsi qu’aux acteurs prêtant leurs traits à ce (non-)couple moderne.
 
3. Beyond Clueless
de Charlie Lyne

Avis aux fans de la déferlante de films d’ados des années 90 – ou plus précisément, de «l’âge d’or moderne» du genre, qu’on situe entre Clueless (1995) et Mean Girls (2004) – le brillant jeune blogueur/critique britannique Charlie Lyne livre un hommage éclairé et sans borne à son genre préféré. On y adhère d’emblée. Narré par nulle autre que Fairuza Balk (The Craft, Almost Famous, American History X), le film-essai Beyond Clueless décortique les mécanismes de séduction et codes de survie inhérents à l’expérience du secondaire made in the U.S.A. en utilisant des extraits de près de 300 films (!!). C’est fait avec amour, sans dérision, venant d’une équipe britannique qui apprécie les Euro Trip, 10 Things I Hate About You et autres Cruel Intentions pour ce qu’ils ont à nous apprendre sur le conformisme aux fameuses cliques, l'univers épineux de la cafétéria et le refoulement de ses désirs les plus profonds.
 
À la première du film, entouré de ses producteurs qui arboraient tous des vestes d’équipes sportives faites sur mesure avec l’inscription «Beyond Clueless», Lyne déclarait avec enthousiasme que «ça fait 15 ans aujourd’hui, jour pour jour, depuis la sortie de The Rage: Carrie 2. Notre projet n’aurait jamais vu le jour si ce n’était pour ce film.» Voilà qui résume tout.
 
4. Ukraine Is Not A Brothel
de Kitty Green

Vous pensez peut-être tout savoir à propos du statut de la femme en Ukraine ou du groupe féministe radical Femen, dont les membres se dénudent lors de manifestations courues pour dénoncer la prostitution, le tourisme sexuel et la corruption. Kitty Green, réalisatrice australienne d’origine ukrainienne, a été surprise et décontenancée par ce qu’elle a appris au cours des 14 mois passés à filmer les têtes dirigeantes du collectif, qui était alors basé à Kiev (elles sont maintenant en exil à Paris, ayant été pourchassées par le gouvernement de Ianoukovytch, depuis destitué).
 
Son portrait courageux des Femen retrace les origines du mouvement et expose au grand jour de graves contradictions qui mettent en doute la crédibilité de ces femmes. Green démontre l’incohérence entre les revendications de Femen et la structure de l’organisation, qui jusqu’à récemment était contrôlée par un homme abusif envoyant ses plus jolies filles au front se dénuder, pour «favoriser les dons charitables d’hommes»… Comme nous l’apprend Green (qui fut arrêtée à huit reprises pendant le tournage) dans ce docu-choc à propos d’un mouvement aux intentions fort louables, l’Ukraine a tellement de chemin à faire en matière de droits de la femme que même celles prêtes à de grands sacrifices pour faire évoluer les mentalités doivent souvent se rabattre sur des hommes pervers et sans scrupules… Triste.
 
Festival South By Southwest | sxsw.com