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Chronique de fin de soirée: l’amour dure deux semaines.

Je n’ai jamais lu «L’amour dure trois ans», le roman de Frédéric Beigbeder. Je préfère attendre l’adaptation cinématographique américaine qui mettra probablement en vedette Shia Labeouf, Colin Farrell et une Megan Fox sur le déclin.
 
Je suis en route vers Charlevoix pour un week-end de ski au Massif, et quelque part entre Québec et la Petite-Rivière-Saint-François, j’entame une réflexion en compagnie de mon fidèle ami Mathieu (qui a lu le roman de Beigbeder) sur la valeur de l’amour en 2014.
 
(Re)construire l’amour en 2014.
 
Il y a quelques semaines, j’ai fait l’apologie du frenche mais surtout du concept de «prendre son temps». L’idée avait du sens: alors que nous surconsommons nos relations comme des pièces de vêtement achetées chez Joe Fresh, pourquoi ne pas retourner à une approche plus traditionnelle. Ne pas baiser le premier soir, et attendre de faire l’amour. Ne pas s’embrasser saouls dans l’obscurité d’un bar de quartier, mais préférer frencher sous le chaud soleil d’un brunch du dimanche. Au fond, apprendre à se connaître un peu mieux qu’une conversation sur un chat de n’importe quel média social.
 
Oui, l’idée avait du sens.
Mais en pratique, j’en arrive au même point.
 
Certes, tout est plus magique. On s’imagine que notre abstinence participe à un sentiment plus grand que nature. On développe la certitude que nous vivons quelque chose d’unique. Que nous avons raison, que les autres ont tort. Étrangement, croire en l’amour traditionnel, c’est un peu comme croire en Dieu.
 
Et il est là le problème.
 
Le jour où on réalise que l’amour n’est pas différent du Lapin de Pâques, on tombe de haut. Pas besoin d’attendre trois ans pour s’en rendre compte. Deux semaines suffisent. Au premier conflit, au premier lundi soir normal, ordinaire et sans saveur, le rêve éveillé tourne au cauchemar réaliste. Les cœurs se brisent, les lunettes roses perdent leur couleur, il ne reste plus que deux individus qui se demandent ce qu’ils peuvent bien foutre ensemble.
 
Parce qu’il n’y a plus rien pour nous forcer, nous obliger à essayer. Nous sommes libres de tout: du joug de la religion, des pressions économiques, de l’autorité parentale. Et même l’attrait des valeurs traditionnelles ne peut nous épargner. Ultimement, il n’y a que le souhait de deux individus de partager leurs vies pour aucune raison construite whatsoever.
 
J’en suis arrivé à cette conclusion après deux semaines de fréquentation.
L’Italienne au teint parfait, même en hiver, vous vous souvenez?
L’amour a fait place à mon pragmatisme postmoderne.
Et je me sens vide.
 
Il est tout près de midi le dimanche matin lorsque je termine l’écriture de cette chronique. Les yeux rivés sur la splendeur tranquille du fleuve St-Laurent, j’observe la nature dans tout son éclat. Au départ, il n’y avait que la vie. Et puis après, il y a eu tout le reste.
 
Il faut donc vivre, n’est-ce pas? Vit-on davantage à goûter les saveurs féminines du mois, à collectionner les tendres parfums d’inconnues, à se forger des souvenirs dans le creux des hanches de différentes partenaires?
 
Ce matin, j’ai l’impression que non.
J’ai le goût de (re)construire mon amour.
 
J’ai envie de savourer cette femme plusieurs fois par semaine, de cultiver son parfum pour qu’il reste à jamais gravé dans ma mémoire, de m’endormir dans le creux de ses hanches. Je (m’en)fonce dans cette grotte confortable de plein gré, pour apprécier les reflets de ma réalité romancée.
 
Après tout, à défaut de trois ans, peut-être que l’amour dure trois semaines.