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Chronique de fin de soirée: l’art (perdu) du french.

Vendredi soir, c’est la St-Valentin.
 
Le plancher de danse du Belmont est bondé de jeunes gens réunis pour célébrer la fête de l’amour ainsi que le retour tant attendu, après plusieurs années d’absence, des soirées Frenche ou Meurs

Le concept a toujours été le même: tout est propice à la rencontre et comme son nom l’indique, aux frenchs. Comme d’habitude, tout le monde se déhanche en s’observant, l’odeur du sexe plane et imbibe mes vêtements, mais quelque chose ne tourne pas rond.
 
Ironiquement (pas vraiment), la soirée thématique s’intitule « J’ai changé ».
Mais qu’est-ce qui a réellement changé depuis toutes ces années?
 
À mon grand désarroi, je remarque qu’autour de moi, on ne se frenche presque pas.
Enfin, moins que les années passées.
 
Et si les gens avaient véritablement changé?
Et si on ne se frenchait plus à l’ère Tindr-post-Grindr?
Et si le french était sur le point de devenir un art perdu et possiblement oublié?
 
J’écoute la pièce Somethin de MVSCLES et je (me) souhaite un monde meilleur.

L’art du french. 

Lorsqu’on y réfléchit, l’expérience fondamentale du french est quelque peu contraire au statut contemporain de notre existence. Je ne parle pas ici du principe d’embrasser quelqu’un. C’est facile, simple et rapide d’embrasser quelqu’un. Mais frencher, c’est avant tout prendre le temps.
 
Prendre le temps.
Quel concept dépassé, non?
 
C’est en prenant le temps de frencher qu’on apprend non seulement sur l’autre, et sur soi-même, mais sur la manière dont on interagit l’un envers l’autre. C’est dans l’action de frencher que se dégage l’essentiel de ce qui fait qu’une personne souhaite partager quelque chose avec quelqu’un.
 
Deux visages se rapprochent, s’observent. Les têtes s’inclinent, supportées par une main qui se plonge dans le creux du cou pour aller rejoindre l’arrière de la nuque. Le bout des lèvres s’entrechoque pour la première fois. La salive lubrifie les interactions légères de deux individus qui s’apprivoisent. Les corps se rapprochent, les mains libres descendent le long des hanches pour agripper avec un peu plus d’intensité le haut du bassin. Les mâchoires se détendent pour laisser les langues s’entremêler. Langoureusement, on goûte l’âme de son partenaire pour terminer le mouvement par un doux petit baisé du bout des lèvres.
 
On se regarde profondément, on se dévore du regard, le rythme cardiaque s’active, la respiration s’accélère, et on recommence. La langue intervient plus rapidement, la bouche se dégage pour explorer la joue, le haut du cou, le lobe d’oreille qui rencontre un premier mordillement de dents, et puis le creux du cou où on y retourne de manière plus convaincante et convaincue. La main derrière la nuque saisie avec conviction la crinière de son partenaire, modifie l’angle d’inclinaison de la tête, la retient quelques instants avant de laisser les lèvres se rejoindre mutuellement. Doucement.
 
Et puis c’est tout le corps qui veut participer. On s’élance légèrement dans un mur, on s’accote sur un rebord de comptoir, on s’écrase sur un sofa. Plus les bouches se rapprochent, plus les corps suivent différents stratagèmes dans l’espoir utopique de ne former qu’un seul être. Les jambes s’entrelacent avec passion comme deux langues qui ne veulent plus jamais être séparées. Les mains se baladent avec vigueur pour découvrir les plus intimes recoins de cette personne qu’on apprend à connaître. De fond en comble. En se baisant, sans baiser.
 
Les secondes deviennent des minutes interminables, l’heure se transforme en un concept abstrait et inutile, la vie se suspend. Parce qu’on frenche. Parce qu’on prend le temps de frencher. Parce qu’on prend le temps. Prendre qu’on prend le temps de s’aimer.
 
Te rappelles-tu la dernière fois que tu as pris le temps?
Au fond, nous avons peut-être tous changé.
Et c'est probablement pour cette raison que vendredi, je n’ai pas frenché.
 
« Qui ne connaît ni l’autre ni lui-même, perdra inéluctablement toutes les batailles. »
Sun Tzu – L’art de la guerre.

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