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«Pelléas et Mélisande» au TNM: une succession de malaises
Crédit: Éric Robidoux et Sophie Desmarais (Crédit: Yves Renaud)

On ne peut que saluer l’invitation de la directrice artistique du TNM, Lorraine Pintal, au metteur en scène Christian Lapointe, un créateur non-conventionnel dont le travail a plus souvent été présenté à des amateurs d’œuvres ardues et déstabilisantes qu’au public de l’institution au coin de Sainte-Catherine et de Saint-Urbain. Ce geste, qu’on peut interpréter comme une volonté d’attirer un public différent et d’ébranler les conventions, se solde toutefois par une soirée bien pénible.
 
Rendons d’abord à César ce qui appartient à César: il est impossible de ne pas remarquer les efforts constants déployés par l’équipe de création pour élaborer une scénographie surprenante, preuve d’une ingéniosité rafraichissante qui vise à multiplier les sens et les perspectives.

Crédit photo: Yves Renaud 

Au royaume d’Allemonde, un territoire irréel fait de noirceur et de morts, le prince Golaud rencontre une énigmatique jeune fille, Mélisande, qu’il finit par épouser. Peu à peu, la demoiselle devient pour lui sujet d’inquiétudes, car il craint que des sentiments amoureux se soient tissés entre sa nouvelle femme et son demi-frère Pelléas.
 
Les spectateurs découvrent d’abord les lieux, le château, la forêt environnante, les pâturages, les animaux et les personnages en versions miniatures, filmés par une caméra et projetés sur grand écran, alors que les acteurs sont placés à l’avant-scène pour réciter le texte. Plus tard, les visages des princes, princesses, rois et servantes sont à leur tour retransmis en versions géantes au-dessus de leurs têtes (cachant parfois une partie d’un autre écran pour les spectateurs assis aux balcons). On peut dès lors imaginer que les événements et les sentiments imaginés par Maurice Maeterlinck sont plus grands que les personnages eux-mêmes et qu’ils se sentent écrasés par le poids de leurs actions et de leurs décisions.
 
Malheureusement, ces procédés sont accompagnés d’une série d’idées aussi déroutantes que désagréables: Sophie Desmarais chante au micro dans un passage digne d’un mauvais vidéoclip de Björk; Marc Béland fredonne une portion de son texte avec une voix aigüe rappelant un haute-contre ou un castrat (signe d’émasculation du prince cocu?); Éric Robidoux et Sophie Desmarais entonnent un air aux allures de rock alternatif éthéré; Marc Béland manipule son fils en faisant de lui sa marionnette; les acteurs sortent du carcan de la pièce et du royaume d’Allemonde pour se «déplacer» dans les coulisses du TNM et remplacent leur français normatif par du français québécois; les deux hommes se promènent dans les bas-fonds du château en recréant l’écho de la voix de l’autre. Bien que ces idées soient porteuses de significations et que certaines d’entre elles fassent sourire, on ne peut tenir sous silence l’impression que chacun des procédés s’étire maladroitement et que la plupart génèrent un malaise énorme.

Crédit photo: Yves Renaud 

L’un des plus grands désagréments de la production vient des acteurs qui jouent tous, volontairement, de manière décalée: soit ils surjouent, soit ils sousjouent, soit ils proclament leurs dialogues un pas à côté de leurs émotions, soit l’un est crédible pendant que l’autre sonne faux. Portant les mots, plutôt que de les ressentir pleinement en habitant leurs personnages avec leurs tripes du début à la fin, ils se dédient principalement aux concepts du metteur en scène.
 
Cette œuvre, publicisée comme un chef-d’œuvre absolu et l’une des plus grandes histoires d’amour de la dramaturgie, nous tient à distance des émotions vives des personnages, stimule presque exclusivement nos yeux et notre cerveau, et produit tant de malaises et de lourdeurs qu’on sort du TNM avec une furieuse envie de crier ou de courir dans tous les sens, pour se rappeler qu’on est encore en vie.

Pelléas et Mélisande
Présenté au TNM jusqu'au 6 février 2016

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