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OFFTA: 3 créateurs de la relève font l’état des lieux sur la danse à Montréal
Crédit: Patrice Lamoureux

Mélanie Demers, Nicolas Cantin et Manuel Roque présenteront chacun ce printemps des ovnis créatifs, productions rendues possibles grâce à la douce folie du OFFTA, qui pour une 5e édition, donne une vitrine à la marge des arts de la scène. 

Mélanie Demers, voix forte de la relève, porteuse d’un univers fantasmagorique et surréel qui questionne l’être devant le monde, présente La Nobody, un «laboratoire» mixte à la frontière de la danse et de la performance, collaboration avec la chorégraphe de Québec Karine Ledoyen. 

Manuel Roque, interprète solaire, Français d’origine et Québécois d’adoption, qu’on a pu voir dans la dernière création de La 2e porte à gauche et chez Marie Chouinard notamment, propose une création solo, RAW-me, matière brute où l’autofiction se mue en voyage initiatique, avec l’aide du dramaturge Peter James. Un choix esthétique autant que pratique: «La forme permettait plus de malléabilité, comme de pouvoir pratiquer chez moi. Et je ne voulais pas de contraintes.» 

Nicolas Cantin, être hybride débarqué de France qui a touché à l’impro, au cirque et au théâtre, investit en catimini le territoire de la danse avec la création Belle Manière. Ne lui parlez pas de définir la danse, ou ce qu’il en fait: «J’aime être un mauvais garçon, qu’on ne puisse pas définir l’objet», lance-t-il. Ce qui le préoccupe, c’est de «rester vivant» et de ne pas se faire avaler par la machine… Pour lui, le OFF, c’est aussi la guérilla, la résistance, ce qui se passe dans l’ombre. 

La danse, ne serait-ce pas, justement, un art de résistance? Silence. «Être artiste, déjà, c’est un acte de contestation, tu pars avec les deux pieds dans la boue, avance Mélanie Demers. C’est sûr qu’il y a cet esprit combatif, mais en même temps, il est aussi festif, ludique. Il faut tresser les deux ensemble.» 

 

Pauvres… et libres 

Le sourire aux lèvres, passionnés, désabonnés de morosité ambiante, ces trois créateurs auraient pourtant plusieurs raisons de déprimer. Selon Statistique Canada, en 2006, le revenu des professionnels de la danse était de 13 244$ par année (10 824$ pour les femmes), le plus bas dans le milieu culturel avec celui des artistes visuels. 

Des chiffres qui font mal, mais qui ne changent rien pour ceux qui ont la vocation. «Notre préoccupation est totalement ailleurs, avoue Manuel. Et les problèmes, ils se gèrent au jour le jour…» Mais de cette pauvreté jaillit, en filigrane, une précieuse liberté. «Oui, la danse est pauvre. Mais cette pauvreté crée une urgence, on est dans la survie… et c’est cette survie qui nous fait créer de façon plus aiguë», lance Nicolas. «La relève est bien mal lotie, elle n’a pas d’argent, pas de place, c’est tout croche… Mais ce sont des passionnés, qui sont prêts à sacrifier beaucoup pour la danse, constate Lorraine Hébert, directrice du Regroupement de la danse au Québec (RDQ). Ils se retrouvent donc dans des démarches beaucoup plus délinquantes, au croisement de plusieurs disciplines, avec des formes ouvertes sur le public.» 
 

Montréal, à l’avant ou à la traîne? 

Reflet de cette réalité, ces créateurs font exploser la définition du genre, démontrant que les territoires investis par la danse ne connaissent pas de frontières aujourd’hui. Une tendance mondiale? Certainement, acquiescent-ils. 

Mais Montréal n’est pas en tête de peloton pour autant. «On n’est pas nécessairement dans l’avant-garde, remarque Mélanie. Oui, le milieu est vivant. Mais il faut être conscient qu’il se passe des choses ailleurs, comme en Europe de l’Est ou en Afrique du Sud. On a un peu tendance à l’oublier et à se trouver bons ensemble…» 

Le milieu est-il trop sage, finalement? Peut-être. Selon Nicolas, on ne fera jamais assez l’apologie du risque: «Ça fait du bien, d’aller dans le mur! Et plus on prend des risques, plus le milieu devient fertile.» 

Car c’est en osant qu’on brisera le cycle du convenu remâché, ajoute Mélanie: «Il y a toute une chaîne qui normalise les propositions et qui part des subventions, passe par le diffuseur et va jusqu’au public. Plus les artistes vont prendre des risques, plus les diffuseurs n’auront pas le choix d’assumer.»
 

Chercher l’air 

Mais encore faut-il que le public suive. Selon l’Enquête sur les pratiques culturelles au Québéc publiée en avril, la danse arrive avant-dernière (devant l’opéra) dans les choix culturels du public, avec 19% qui en ont vu en 2009. 

Un signe encourageant: 39% des jeunes de 15 à 24 ans ont assisté à un spectacle de danse en 2009. La nouvelle génération trouverait-elle une résonance dans le geste dansé? Lorraine Hébert l’espère, alors qu’elle met présentement la touche finale au tout premier Plan directeur de la danse professionnelle au Québec 2011-2021, qui sera dévoilé le 2 juin dans le cadre du FTA. 

Ce travail de longue haleine a mobilisé depuis 2008 tout le milieu, des danseurs aux travailleurs culturels en passant par les enseignants, et dresse le portrait de la situation en danse tout en proposant diverses pistes de solution pour l’avenir. Un constat s’impose: il y a énormément de travail à faire, que ce soit pour la sécurité des danseurs, la synergie avec la communauté, la mémoire du patrimoine, sans oublier les infrastructures, la reconnaissance, et évidemment, l’aide gouvernementale.

Alors qu’en ces temps moroses, on monte vite aux barricades pour dénoncer l’argent donné aux «maudits artisss», c’est l’oxygène même de notre société qui est en jeu, croit Mélanie: «Les gens se disent: pourquoi donner de l’argent à l’inutile? Mais c’est l’inutile nécessaire; c’est se donner le droit de penser poétiquement, comme on peut penser politiquement, financièrement… C’est un oxygène, une façon de vibrer, mais aussi de se sentir moins seuls, de faire une catharsis.» 

«Les problèmes que vit la danse, la culture en général les vivra tantôt, conclut Mme Hébert. Les Flamands ont d’ailleurs utilisé une image très intéressante à ce sujet dans un document faisant l’état des lieux de la danse en Belgique: les artistes de la danse sont les canaris dans la mine de charbon; ils sonnent l’alarme, mais on est déjà tous en train d’étouffer.»

 

OFFTA | Du 27 mai au 4 juin

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