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Le nombre de fermetures de restos monte en flèche à Montréal: mais pourquoi?
Crédit: NIGHTLIFE.CA

Les fermetures d'établissements ne cessent de pleuvoir sur la ville de Montréal. C'est un phénomène qui malheureusement, perdure depuis quelque temps, mais l'année 2014 fut spécialement difficile pour l'industrie de la restauration. Après le Hangar, l'Écurie Bar & Table, la Récréation, le Continental, le Chasseur, le Paris Beurre et le Royal Phoenix, c'est au tour de la Taverne Magnan – véritable institution montréalaise – et du restaurant Misto de fermer leurs portes. On voit aussi plusieurs nouveaux restos arriver sur la scène montréalaise, seulement pour faire faillite et fermer un an plus tard. Mais qu'est-ce qui peut bien empêcher les établissements de rester ouverts et prospérer? Les difficultés économiques? Les travaux de construction? Le manque de variété?

Depuis un bon bout de temps, je me promène de resto en resto, à travers la ville. Que ce soit pour le fun, pour des événements avec NIGHTLIFE.CA, ou pour mon propre blog (The Foodie MTL), découvrir des endroits et essayer de nouveaux plats, c'est une de mes passions dans la vie. Cependant, quelques constatations personnelles, ainsi que des propos que j'ai entendus dans mon entourage (lors de soirées médias, entre autres) m'ont poussé à réfléchir et mettre sur papier (ou plutôt, sur écran) les idées qui vont suivre. Après plusieurs heures de lecture et de discussion, je crois avoir mis le doigt sur quelques-uns des facteurs qui pourraient expliquer l'état actuel de la scène montréalaise.

Photo: Bruno Guérin
Trop de restos?

Au début, je n'y croyais pas vraiment – ou du moins – je ne voulais pas trop y croire. Trop de restos, est-ce vraiment possible?

Pour commencer, il faut savoir que Montréal est l'endroit où l'on retrouve le plus de restaurants per capita dans toute l'Amérique du Nord. Ce n'est pas pour rien que la ville est reconnue dans le monde pour sa variété gastronomique et la qualité de sa cuisine. Cependant, est-ce que cette distinction à l'international pourrait se définir comme étant un couteau à double tranchant? Y aurait-il trop de restaurants à Montréal? Eh bien, selon plusieurs, oui.

C'est un problème assez délicat, car on ne peut pas vraiment interdire à quiconque de se lancer en affaires et d'ouvrir un établissement. Le Québec recèle de jeunes entrepreneurs voulant mettre à profit leur passion. Le hic, c'est qu'il y a un choix innombrable de restos, mais pas assez de clients. Dans un premier temps, les revenus de la majorité de la population tournent autour de la classe moyenne, ou sont un peu plus bas. Comparativement à des villes comme New York, Paris et Londres, où l'industrie de la restauration est très importante, les citoyens de Montréal sont généralement beaucoup moins fortunés. Donc, même s'ils bénéficient d'un important éventail de choix, ils n'ont simplement pas les moyens d'aller au restaurant souvent. À l'inverse, même les gens qui ont les moyens d'y aller toutes les semaines n'ont simplement pas le temps de tous les essayer! La compétition est extrêmement féroce.

Manque de personnel + manque de coopération de la ville

Trop de restaurants rime facilement avec des lacunes au niveau du personnel. C'est simple: tout le monde s'arrache les employés. Que ce soit au niveau des serveurs, bussboys, gérants, des sous-chefs, ou même des chefs. Il n'y a pas assez de travailleurs pour combler tous les postes! Ces derniers ont donc l'embarras du choix lorsque vient le temps de postuler pour un emploi. Aujourd'hui, en plus de savoir cuisiner à merveille, un chef doit être extrêmement créatif, avoir des habiletés en marketing, en gestion et en comptabilité, en plus de tenir compte de l'ensemble des nouvelles tendances s'il veut que son établissement survive. Ouch.

D'un autre côté, la ville ne cesse d'augmenter les taxes (en plus du tarif en extra si on possède une terrasse). On ajoute à cela les glorieux travaux routiers que l'on aime tant: moins de stationnement (ou coût exorbitant de ce dernier), plus de détours, davantage de congestion; donc établissements moins accessibles et attrayants. On observe même un attrait important pour des restos de banlieue – comme au Quartier Dix30 – ou dans l'ouest de l'île. On retrouve de plus en plus de restos branchés dans ces quartiers, sans tout la problématique de trouver un parking. Ajoutons à cela le prix de la nourriture qui augmente constamment: les proprios sont 100% perdants dans l'histoire.
 

Photo: Geneviève Vézina-Montplaisir

Établissements old school VS new school?

Après plusieurs recherches et dépouillements d'entrevues réalisées avec des chefs et des propriétaires d'établissements montréalais de renom, un aspect ressort de manière assez frappante. Selon Carlos Ferreira (propriétaire du Ferreira Café sur Peel) et Sylvie Lachance (propriétaire du restaurant Van Horne dans Outremont), plusieurs nouveaux arrivants sur la scène ont «perdu le sens de ce qu'un restaurant devrait être».

Un bon nombre d'entre eux investissent principalement dans le décor, l'ambiance et dans les cocktails spécialisés, mais ne connaissent pas vraiment l'industrie de la restauration. Selon eux, cette situation est quelque peu fâcheuse pour les restaurateurs qui n'ont pas de chefs «hipsters», tatoués, de livres de recettes cool et branchés, de produits dérivés, d'émissions de télé, ou de produits artisanaux présentés sur une planche de bois; mais qui émettent un focus particulier sur la qualité de leur menu.

Ferreira va même jusqu'à dire que face à cette situation, il ne croit plus au libre marché. Selon lui, il serait nécessaire d'implanter des quotas et d'établir plus de règlements autour de l'obtention d'un permis de restaurateur, car il estime qu'une grande quantité d'établissements de qualité – le sien y compris – souffrent à cause d'entrepreneurs inexpérimentés. «Il y a toujours un nouveau resto branché qui me fait mal et qui va fermer dans quelques mois de toute façon…» (Journal de Montréal). Ces derniers ne connaissent pas vraiment l'industrie, n'exécutent pas d'études de marché avant d'ouvrir, et au final, ne savent pas à quoi s'attendre. Lorsqu'ils s'aperçoivent vraiment ce dans quoi ils s'embarquent, nombre d'entre eux jettent l'éponge assez rapidement. La ville ressemble donc de plus en plus à un véritable cimetière de restaurants: l'an dernier seulement, plus de 105 établissements on dû fermer leurs portes. Dans cette optique, peut-être qu'effectivement, une limite de restos par quartier/arrondissement, ainsi qu'une attention plus importante face à la formation et aux capacités réelles des nouveaux entrepreneurs, seraient des éléments pertinents à favoriser par la ville lorsque vient le temps de délivrer un permis…

Ces propos peuvent sembler un peu harsh, mais d'un côté, ces quelques facteurs peuvent expliquer le certain déséquilibre qui règne présentement sur la scène gastronomique montréalaise. Si auparavant, seulement les mauvais restaurants devaient fermer leurs portes, la situation actuelle affecte également les bons. Les établissements high-end ont beaucoup de difficulté à survivre, car les consommateurs sont prêts à payer une somme similaire pour une assiette de comfort food dans un bistro branché, contre un steak de qualité dans un restaurant luxueux. Ce qui prime avant tout, c'est l'ambiance et la réputation de l'endroit sur la scène du nightlife montréalais. Les restos font maintenant partie de notre culture: les gens discutent davantage des établissements qu'ils ont essayés, plutôt que du dernier film qu'ils ont vu au ciné.

Dans le même ordre d'idées, cela peut également expliquer la raison pour laquelle on retrouve des plats et des menus aussi similaires d'un bistro à l'autre: porc effiloché, tartare, pâté chinois revisité, mac & cheese, sushis…

Il est certain que tous les marchés et toutes les industries évoluent avec le temps, c'est tout à fait normal. Les propriétaires doivent adapter leur service à la demande. Cependant, le fait de voir de véritables institutions souffrir et fermer – comme la Taverne Magnan qui a dû abandonner après 82 ans d'activité – laisse place à la réflexion. Montréal possède une culture culinaire unique et une créativité débordante: on en prend compte avec des idées novatrices comme les événements Montréal à Table, le Happening Gourmand et l'arrivée des food trucks dans nos rues, ainsi que de chefs qui se démarquent, comme Laurent Godbout de Chez l'Épicier – premier Québécois à compétitionner au concours international Bocuse d'Or. Il serait plus que dommage de voir cette vague de fermetures perdurer encore longtemps, et emporter sur son chemin d'autres établissements que nous portons dans notre coeur.

Selon vous, qu'est-ce qui pourrait aussi expliquer l'état de l'industrie de la restauration à Montréal en ce moment?