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Lake of Stew: l’union du bedon

C’est bien ironique que Lake of Stew ait commencé à faire parler de lui dans un contexte de division. On s’en souvient, le groupe s’est retrouvé cet été au centre de l’affaire de l’Autre Saint-Jean, ce concert de la Saint-Jean Baptiste «alternatif» dénoncé puis perturbé par des factions opposées à la présence d’artistes anglophones sur le programme.

C’est bien ironique parce que, depuis huit ans, la bande se consacre à susciter les sourires et à faire chanter les gens. À rassembler, quoi. Après avoir fait les beaux jours de la scène indie-rock montréalaise des années  90, Richard Rigby (ex-Shine Like Stars), son frère Mike, Brad Levia (deux ex-Holy Moly) ainsi que Daniel McKell (ex-Tiny Green Specks et Sex With Furniture) ont tourné le dos à la «branchitude» pour suivre les traces du folk revival des années  60, du bluegrass et des «jug  bands» des années  20 et 30.

Par soif d’un contact plus direct avec le public, la bande au personnel variable (maintenant complétée par l’accordéoniste Dina Cindric et la bassiste Julia Narveson) ne s’est longtemps produite que dans des petits cafés du Mile-End, sans micros ni amplification aucune.

Comme c’est souvent le cas avec les ambitions modestes, les visées de Lake of Stew sont en train de donner de grands résultats. Après s’être fait remarquer avec Ain’t Tired of Lovin’, un premier album lancé en 2008, le sextuor a été recruté par l’écurie Dare to Care puis a fait la connaissance de Ken Whiteley, un vétéran de la scène folk canadienne qui a réalisé et contribué à plus de 45  albums depuis 1965. C’est lui qui a réalisé Sweet as Pie, second album de la troupe à paraître le 10  novembre.

On s’est assis avec Richard Rigby et Brad Levia pour parler bassines, hip-hop, seaux d’urine et anarchie paisible.

Beaucoup de choses ont changé depuis un an. D’abord, vous avez à nouveau changé de membres. Annabelle Chvostek (violon) et Olivier Adoue (banjo) ne sont plus là.
Richard: Annabelle est déménagée à Toronto en avril dernier. Elle jouait avec nous depuis des années, mais elle était souvent partie. Elle venait jouer quand elle pouvait. Olivier a sa propre carrière aussi. Avec nous, il jouait du banjo, mais ce n’est pas son instrument de prédilection. Il joue aussi de la guitare gitane et du violon folklorique. Il ne manque pas d’avenues musicales à explorer.

Julia a aussi troqué la contrebasse pour la contrebassine (ndlr: une contrebasse bricolée à partir d’un bassin métallique et d’un manche en bois). Pourquoi?
Brad: Parce que c’est plus facile à transporter!
Richard: Sa contrebasse est vieille, aussi (Se tournant vers Brad:) Quand a-t-elle été construite?
Brad: Dans les années 1600, par des lutins! (rires) Non, c’est un instrument unique conçu par des constructeurs de meubles. Elle craque et couine beaucoup. On n’aime pas trop la trimballer.

Vous avez longtemps donné des prestations 100% acoustiques mais, maintenant, vous utilisez des micros. Est-ce une grosse entorse à vos principes?
Richard: C’est le prix à payer quand ton public grossit, n’est-ce pas? Le contexte idéal, c’était vraiment de jouer au Cagibi (ndlr: petit café au coin de Saint-Laurent et de Saint-Viateur). C’est un paquet de problèmes, l’amplification. On doit se placer devant une mer de micros. On pense sérieusement à doter nos instruments de cellules piezo (pickups), parce que quand on entre quelque part avec nos instruments sans amplis, les sonorisateurs paniquent!
Brad: À ce stade, au nom de la qualité du spectacle, aussi bien s’épargner des problèmes et être confortables que de s’accrocher en disant: «nooon, on ne DOIT PAS utiliser d’amplification!»

On dirait que Sweet as Pie est plus traditionnel et authentiquement bluegrass que le premier album
Richard: On essaie de ne pas utiliser le mot «bluegrass» parce qu’on craint d’aliéner les puristes en prétendant faire partie de cette tradition. Je pense que c’est parce qu’on peut tout entendre un peu mieux. Il y a plus de clarté. Aussi, on écoute plus de musique de jug bands, du gospel vocal, du old time moutain gospel Ce genre de trucs.
Brad: Peut-être que celui-ci sonne plus old time parce que les morceaux sont plus récents. Le premier contenait plusieurs très vieilles chansons. Les influences n’avaient pas encore vraiment filtré dans notre musique à cette époque.

«Pretty Sarah» parle de police et de graffitis. C’est une histoire vraie?
Richard: Pas vraiment. C’est une sorte d’hommage à NDG. Quand j’étais jeune, j’avais des amis qui étaient tagueurs. Je les accompagnais quand ils allaient taguer, même si je ne taguais pas moi-même. La mélodie rappelle un peu «Uncle Pen» de Bill Monroe parce que j’avais toujours cette chanson en tête quand je l’ai composée. Je pensais aussi à une autre chanson traditionnelle dont le refrain est «her hair tied up in a white bonnet» («ses cheveux noués dans un bonnet blanc»). J’aimais cette idée de moderniser l’image avec «her hair tied up in a black hoodie» (ses cheveux noués dans un capuchon noir). C’est juste une fantaisie un peu flyée, une chanson romantique Aller faire du graffiti avec sa copine…
Brad: Une chanson folk de graffiti Fallait que quelqu’un le fasse un jour!

Dans la chanson tu cites aussi «Sound of da Police» de KRS-One Es-tu vraiment un fan de hip-hop?
Richard: Oh oui! Mon frère aussi. On l’est pas mal tous. Entendons-nous KRS-One, Public Enemy, Run DMC Le vrai hip-hop!
Brad: De La Soul, Prince Paul Des vibes positives.
Richard: Brad fait une excellente version de «Paul Revere» des Beastie Boys.
Brad: Je faisais ça il y a longtemps. Je l’avais changée en «talking blues» à la Woodie Guthrie. C’était hilarant!
Richard: C’est amusant de jouer avec les références.
Brad: Quand on y pense, le hip-hop est un peu comme le folk. Tu mets un beat et tu racontes une histoire.

Vous faites souvent des blagues à caractère politique, sur scène. Le faites-vous aussi quand vous jouez à l’extérieur de Montréal?
Richard: Certainement! On ne se censure pas pour le public. On a dépassé le stade où on a envie de choquer, mais on ne va pas cacher qui on est. La guerre est fucked! Il ne pourra jamais y avoir de vrai changement pendant qu’il y a encore des guerres. Toute la bullshit politique demeure futile tant qu’il y a encore des troupes d’un pays étranger qui en occupent un autre. C’est de l’hypocrisie pure et simple! On n’essaie pas de diluer notre message. Parce que notre message, si on en a un, c’est juste de vouloir rassembler les gens pour chanter ensemble et avoir du bon temps. Ce geste seul est déjà assez subversif dans une culture qui essaie de garder tout le monde devant un écran d’ordinateur.
Brad: Des vrais gens qui se rassemblent pour faire des vraies choses C’est ça qui compte pour moi. La politique organisée, ça ne m’intéresse pas du tout.

Parlant de politique, faut qu’on revienne sur l’incident de la Ssaint-Jean Comment vous sentiez-vous pendant que les bluenecks chahutaient?
Richard: C’était assez horrible. Ça n’était pas amusant du tout. On sentait qu’on faisait partie de l’agenda politique de quelqu’un malgré nous. On se sentait mal. On a eu beaucoup de soutien des gens qui étaient là, mais la frénésie médiatique, l’escouade anti-émeute, les policiers à cheval On a même entendu dire que quelqu’un avait apporté un seau d’urine pour nous lancer dessus! Tout ça, c’est de la bullshit. Des groupes comme Malajube ou Coeur de pirate se promènent à travers l’Amérique du Nord en chantant en français et n’en ont rien à foutre, de savoir si les gens comprennent ou non. Les Américains trippent parce que c’est juste de la bonne musique. En faisant ça, ils font plus pour promouvoir la langue française qu’une bande d’idiots qui veulent lancer un seau de pisse sur un band folk anglo.
Brad: Un seau de pisse C’est comme ça qu’on aurait dû appeler l’album: A Bucket of Piss! Arrêtez les presses! (rires)
Richard: En fait, j’essaie présentement d’écrire une chanson sur le seau de pisse. Elle va être en français. Surveillez ça l’an prochain!

Il paraît qu’à vos débuts, vous pratiquiez dans une cuisine, en faisant de la soupe. C’est vrai?
Richard: Oui. Ça faisait partie du concept: préparer un repas, et rassembler du monde autour pour jouer. C’était en partie pour inciter les gens à venir (rires). Brad et mon frère, à l’époque, n’avaient pas de blondes, ils crevaient de faim. C’était une façon facile de les attirer. Aussi, je suis cuisinier de profession, donc pour moi, c’était l’occasion d’essayer 12des nouvelles choses. On le fait encore parfois. Le problème est que nous avons tellement à faire que si nous prenons le temps de manger, ça nous enlève du temps pour pratiquer! Mais manger est vraiment une partie importante du groupe. Je pourrais entrer dans les raisons philosophiques derrière ça

Je t’en prie, fais…
Richard: OK. Tu connais Hakim Bey? C’est un philosophe anarchiste. À l’époque, je lisais son livre intitulé Immédiatisme. Ça parle de l’idée de l’acte sans intermédiaire. C’est quelque chose que tu fais qui implique tout le monde. Un acte avec intermédiaire, au contraire, c’est quelque chose comme regarder la télévision: tu laisses un médium te livrer un message.
Brad: Il y a quelque chose entre la performance et le spectateur. Tout le monde n’est pas également impliqué.
Richard: À l’inverse, n’importe quel rassemblement où les gens font intentionnellement quelque chose de subversif, comme fumer du pot, être gay ou je ne sais trop, eh bien c’est un acte révolutionnaire puissant dans une société qui essaie de garder tout le monde séparé. La vague idée derrière le groupe, c’était donc de rassembler tout le monde, faire un repas, fumer du pot et ensuite jouer de la musique et chanter. On était tous habitués à nous rassembler dans des petits locaux de pratique et à jammer avec des instruments électriques
Brad: Sauf que la musique électrique n’a pas grand-chose d’immédiat. Tu ne peux entendre ce que tu joues qu’à travers des fils électriques, un microphone et des haut-parleurs. Avec la musique acoustique, il n’y a aucune séparation.
Richard: C’est pour ça qu’on jouait tout le temps au Cagibi. L’idée était de jouer et de pouvoir faire chanter tout le monde pour que tout le monde fasse partie du show. C’est pour ça qu’on veut mettre les paroles dans le disque. On espère que les gens vont se le procurer, apprendre les paroles et chanter avec nous. On a fait le nouvel album un peu plus sérieusement parce qu’on voulait qu’il marque une progression par rapport au précédent. Mais l’enregistrement, pour nous, c’est juste une archive d’une prestation. Ce n’est pas supposé être une grosse oeuvre d’art. C’est l’expérience live qu’on «vend» vraiment. Pour revenir à ta question de tout à l’heure à propos des micros qu’on doit utiliser, maintenant, c’est un gros débat philosophique et éthique, mais l’important, pour nous, c’est d’amener les gens à chanter, à sourire et à se sentir bien.
Brad: S’ils peuvent s’amuser davantage, mieux man-
ger et embarquer s’ils entendent plus clairement Alright!
Richard: Notre préférence serait de jouer sans aucune amplification. Mais on veut aussi avoir la possibilité de jouer devant de plus g rands auditoires, de répandre notre message. Il faut trouver le moyen de coller à l’idée de départ sans trop se soucier des détails. On est quand même loin de se trouver un batteur et de virer électrique.

12 novembre | Sala Rossa
4848, St-Laurent
lakeofstew.ca

crédits
photographe

Jean Malek, représenté par Low Profile Inc.

assistants-photographes
Julien Cloutier-Labbé
Julia C. Vona

maquilleuse
Mylène Mercier

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