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Fred Pellerin jase piastre, collectivité et «coup de pied dans la ruche» pour la sortie prochaine du film Ésimésac
Crédit: Marine Anaïs Haddadi

Seconde histoire de Fred Pellerin adaptée au grand écran par Luc Picard, Ésimésac se déroule encore une fois dans le village natal du conteur : Saint-Élie-de-Caxton.

En période de famine, le jeune et fort Ésimésac rallie les villageois à la construction d’un jardin communautaire pour nourrir les panses. Mais la rumeur de la construction d’un chemin de fer joignant le village au reste du monde fait miroiter des trains remplis de bon manger. On troque donc pelles et pioches contre le travail du métal, forgeant une raille après l’autre. Puis on se met à préparer l’avenir de Saint-Élie, future ville ferroviaire avide d’opportunités d’affaires. Le magasin général veut ouvrir un salon de coiffure. Le coiffeur veut ouvrir un magasin général. Le crédit monte aux têtes remplies de belles promesses. Bref, on comprend vite que ce conte de Noël déraille du Côté obscur de la Force.

La maudite piastre
Construire une illusion le ventre vide. Avec des répliques sans détour comme «l’argent, ça se mange pas», le film prend position juste à temps pour raviver en nous les lumineuses guirlandes du partage. Impossible de me voiler la face sous mon ironie originelle quand Fred Pellerin s’excite le pompon en évoquant cette maudite piastre : «C’est voué à l’échec. Cultiver le mythe selon lequel la seule issue pour l’humanité, c’est la croissance de la croissance, ça se peut pas. Ça va péter au frette. […] À un moment donné, ça a pas le choix que la chaîne va débarquer.»

Pour le père de famille qui vit toujours dans son village, le problème a commencé au moment dans l’histoire où «l’argent, comme outil, est devenu un but». Ce moment où la piastre n’a plus été qu’un simple reminder du nombre de carottes échangées avec le voisin, mais bien une fin en soi : «Moi, ça, c’est une frustration. Que tout notre réel soit calculé en piastres, ça m’énarve. Parce que ça se peut pas. Parce que l’amour, c’est pas des piastres. Parce que la vie en collectivité, c’est pas des piastres. Tout ne peut pas être réduit à la piastre.»
 

Le «je» VS le «nous»
Ésimésac, c’est aussi une histoire d’ombres. Celle de nos ombres qui nous collent à la peau. Dans le monde fantastique de Fred Pellerin, les ombres ne tracent pas nécessairement le contour des corps. Tantôt de forme humaine, tantôt animale ou végétale, elles s’adaptent à notre état d’esprit. Pellerin explique: «Chaque personnage a un rapport particulier avec son ombre parce que l’ombre n’est pas la réplique exacte des personnages. Pour certains, ça sera la métaphore de l’égo.»

À quoi ressemblerait l’ombre de Fred Pellerin s’il vivait dans sa propre légende? Je l’imagine ronde et généreuse. Lui qui voyage régulièrement entre Paris et Montréal a les racines prises dans sa terre natale: «C’est assez intense comme relation. Je vis là. Je vis nulle part ailleurs que là. On s’est construit un îlot d’amitié incroyable. Il y a une vie de voisinage hallucinante. Pis ça c’est bâti depuis 20 ans. Je suis pris dans ce village-là depuis sept générations en arrière.»

Pour stimuler la vie culturelle de Saint-Élie, le conteur a développé plusieurs projets communautaires. Il a même créé une résidence dédiée aux artistes, qui viennent y pieuter pour composer à l’abri de la ville. Le prix à payer? Avant tout une chanson, un poème ou une autre marque de son passage.

Sa fierté pour sa ville, il la ressort aussi en statistiques : «Ce village-là, aujourd’hui, est le village qui a le plus haut taux de croissance démographique au Québec. Il y a 42 habitants de plus par année. On est 1500. À ce rythme-là à Montréal, on coulerait l’île!»
 

Crisser des coups de pied dans la ruche
Lui qui a été investi dans le mouvement étudiant et dans l’organisation du Jour de la Terre a arboré fièrement le carré rouge, se faisant même indirectement accuser par l'ancienne ministre St-Pierre de contribuer à répandre l’intimidation et la violence. Pellerin s’amuse aujourd'hui du fait que certains politiciens aient utilisé sa face comme cible. Mais comme beaucoup d’entre nous, ce qu’il retire surtout du Printemps érable, c’est l’espoir d’une solidarité québécoise: « On dormait sur la switch. Fallait que ça se réveille. J’ai hâte de voir les suites de l’affaire, parce que faudrait pas que ça se rendorme trop vite.»

Au bout du compte, est-ce qu'on peut considérer Fred Pellerin comme un militant? Plutôt comme «un crisseur de coup de pied dans la ruche», ou comme un gars qui aime manigancer juste pour observer des éléments complètement différents entrer en collision. «Je suis pas un théoricien, j’intellectualise pas beaucoup. Je métaphorise pis je vis les affaires. Je vais pas faire des essais, je vais faire des contes pis des films. Pis ne rien dire, c’est être complice du silence. Pour moi, c’est pas une option. Mais en même temps je suis pas un gars qui essaie tout le temps de brasser la cage. Je fais des contes… c'est assez doux comme acte politique.»
 

Ésimésac | En salle dès le 30 novembre

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