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École de la Montagne Rouge : l’initiative artistique de l’année au Québec
Crédit: Ces anti-art world stars, toujours soucieuses de préserver un certain anonymat malgré tout le battage médiatique du Printemps érable, ont laissé de belles traces d’une période fertile dans l’histoire du Québec.

Quel a été ton premier contact avec l’École de la Montagne Rouge? Une affiche subversive aperçue lors d’une manif? Un slogan accrocheur capté sur le vif par un photographe? Une illustration ayant rapidement fait la ronde des réseaux sociaux? Ou encore le symbole très évocateur du « Printemps érable », que tout le Québec s’est vite approprié? Pour ma part, c’est la pancarte « Le combat est avenir », déployée à des centaines d’exemplaires pour la grande manifestation du 22 mars, qui m’a fait apprécier cette soif de créer des images en temps de crise.

Alors qu’on entame la saison des bilans et des conclusions à tirer de ce Printemps érable (pour reprendre un des slogans de l'ÉDLMR : « Mouvement historique, victoire historique »), on se doit de souligner le travail ingénieux de ce collectif d’étudiants en design graphique à l’UQAM. Un projet qui est né dans l’urgence de la mobilisation étudiante en février dernier et qui a fermé les portes de son atelier de façon tout aussi spontanée, sept mois plus tard, avec le sentiment du devoir accompli.



Tiré du Tumblr de l'École de la Montagne Rouge

« Je me soulève »
On se souviendra longtemps de la signature visuelle de l’ÉDLMR, qui a nourri l’imaginaire des gens d’ici et d’ailleurs avec des empreintes graphiques frappantes tantôt teintées d’humour noir, tantôt faisant appel à l’émotion. Alors que le climat politique se détériorait à vue d’œil, les dizaines de membres de l’ÉDLMR nous ont offert autre chose que des clashs violents ou des débats sans issue. Une mouvance d’artistes engagés (comprenant aussi le collectif ARTUNG ! et le peintre anonyme d’ArtAct QC) a donné à la cause étudiante un cadeau d'une grande valeur à cette époque où l’image est reine: un branding réfléchi et captivant.

Lorsque NIGHTLIFE.CA a rencontré la très sympathique (et passionnée!) bande de créateurs en salopettes rouges en août dernier dans leur atelier, on a découvert un endroit où la créativité déborde des murs tapissés d’affiches. En entrevue, les membres de l'ÉDLMR constataient à quel point leurs enjeux avaient évolué au fil de la crise. « Au début, on était beaucoup pour une ouverture du débat dans la hausse des frais de scolarité, on n’était pas frontalement opposés à la hausse, souligne Guillaume Lépine, instigateur du projet ÉDLMR, entouré d’une dizaine de membres du collectif. On était juste une gang de monde qui voulait mettre des points d’interrogation sur ce qui se passait. On ne se posait même pas encore des questions quant au but ultime du collectif. »

Au moment de notre rencontre, l'ÉDLMR s’apprêtait à quitter Montréal pour un atelier au centre Interference Archive à Brooklyn avec des artistes d'Occupy Wall Street. Malgré plusieurs collaborations prestigieuses avec l’ONFCourrier international et Urbania, Pierre-Olivier Forest-Hivon n’a jamais perdu de vue la motivation première du collectif : « Je pense que notre but, c’est de créer, de se garder actifs et allumés, de faire du design pendant qu’on ne peut pas en faire à l’école. » Personne ne pourra leur reprocher d’avoir chômé en 2012. Les designers ont travaillé d’arrache-pied, cumulant les nuits blanches pour pondre une panoplie d'images fortes ayant fait fureur auprès du public.

  
Crédit : David Coulombe

« L'éducation : un plan mort ! »
S'étant d'abord inspiré du Black Mountain College en Caroline du Nord – lieu d’enseignement avant-gardiste des années 40 et 50 – et du mouvement d’indignation de Mai 68, l’ÉDLMR a ensuite puisé dans l’actualité quotidienne (Déclarations de Line Beauchamp! Plan Nord! Matricule 728!) pour produire tout au long de la crise. « La beauté de la créativité, c’est qu’il n’y a pas de fin, s’emballe Lépine. Tu peux toujours surprendre les gens. Ils demeurent surpris, je crois, qu’après tant de semaines, on trouve encore de nouvelles façons d’illustrer la grève. »

Ceux que CBC Radio a même décrits comme « l’aile de propagande du mouvement étudiant » n’avaient pourtant jamais revendiqué haut et fort d’allégeances politiques avant le Printemps érable. Ils ne s’étaient surtout pas inscrits en design graphique dans l’optique de produire de l’art foncièrement engagé… « La grève, c’est la chose qui nous a tous politisés, affirme Forest-Hivon. Je pense que personne autour de la table ici n’avait des antécédents politiques avant la grève…  Ce n’est pas du je-m’en-foutisme, mais personne ici n’est membre d’un parti politique ou a déjà été à des assemblées. Il n’y a jamais rien qui nous a atteint de la façon pour qu’on se pitche dedans, corps et âme. »

Mais au fil des œuvres percutantes et des multiples collaborations, ils ont compris la raison d’être de leur travail. « Ça a toujours été super important que ces images soient gratuites et qu’elles puissent circuler le plus possible, défend Lépine, pour faire réfléchir le monde, les faire rire et les conscientiser. Si on avait commencé à mettre des freins, ‘‘toi oui, toi non’’, à chaque personne qui voulait utiliser nos images, là n’était pas le but… Les images appartiennent vraiment à tout le monde. »

Il vous reste quelques jours pour visiter l’exposition Création en temps de crise sociale au Centre de design de l’UQAM, qui passe en revue l’œuvre éphémère de l’ÉDLMR, de la confrontation plus crue (gros plan d’une bouche ouverte avec l’inscription « Jean Charest : langue sale ») aux messages d’espoir rassembleurs (« Restons phares »). Je n’enlève rien au talent et au mérite de l’ÉDLMR en vous disant que l’expérience muséale ne permet pas, à mon avis, d’apprécier le travail du collectif à sa juste valeur. Pour ce faire, il fallait contempler les œuvres placardées un peu partout en ville, celles qui attiraient notre regard ainsi que les flashs d'innombrables photographes. Mais il serait bien dommage que ces petits bijoux graphiques soient reléguées aux oubliettes.

Ces anti-art world stars, toujours soucieuses de préserver un certain anonymat malgré tout le battage médiatique du Printemps érable, ont laissé de belles traces d’une période fertile dans l’histoire du Québec. Il nous faudra encore un certain temps pour en mesurer l'importance. Pour l’instant, on salue l’initiative, en souhaitant qu’elle en inspire d’autres. Après tout, comme la Montagne nous l’a si souvent répété, le combat est avenir…
 
  
Crédit : David Coulombe 

 

École de la Montagne Rouge | ecolemontagnerouge.com
Création en temps de crise sociale | Centre de design de l’UQAM | 1440, Sanguinet | centrededesign.com

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