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«Disparaître Ici», un spectacle déstabilisant et choquant inspiré de Bret Easton Ellis
Crédit: Charles Fleury

Disparaître Ici s’inspire librement de l’œuvre de l’auteur américain Bret Easton Ellis (American Psycho, Glamorama, Less Than Zero, Lunar Park). Souvent qualifié de romancier d’anticipation sociale, il fait le constat d’une Amérique paumée qui hyperventile d’égocentrisme, cherchant à la fois un stage pour briller et une issue pour exister. Tout en démultipliant les styles littéraires et les thèmes au sein d’une même œuvre, il persiste ainsi dans l’hallucination, la caricature, le cynisme.

Dans l’antre du Théâtre La Chapelle et accroché à l’air du temps, Disparaître Ici gronde en explorant nos scratchs et nos abîmes de jeunes trentenaires. Dix amis. Une petite bourgeoisie qui a tout, qui n’a pas de réels besoins mais qui cherche encore. À se divertir sans fin, à séduire, à s’étourdir, à s’élever de la masse pour se sentir plus fort. Puis, à force d’exister dans le numérique, dans l’instantanéité des relations et le culte de la beauté, de minuscules fragments de folie s’amplifient et laissent place à la psychose d’une génération qui s’essouffle. D’une génération qui essaie d’exister à la lisière de l’improbable, du trafiqué, de l’embelli. L’apparition d’un snuff film déroutant propulse le groupe d’amis dans un flou qui les implique tous en tant que complices, victimes et voyeurs. Perversions, mise en marché de l’individu, violence latente, pornographie. Tout cela et bien plus encore baigne en eaux troubles entre la culture pop, le cauchemar et le très trash.

Jocelyn Pelletier décrit le spectacle comme une expérience déstabilisante et viscérale pour le spectateur, comme une obligation à vivre ce qui lui sera servi. À la manière de l’œuvre d’Ellis, la narration implique directement le spectateur puisque l’on s’adresse à lui tout au long du spectacle. En le sollicitant de la sorte, l’ici et le maintenant gagnent en force et exacerbent l’urgence de la réflexion. Dans une installation scénique où la bâche est scrappée raide et éclairée à souhait, le son, qualifié «d’électro-post-dubstep-R&B-au-ralenti» par Jocelyn Pelletier, est assumé par Mykalle Bielinski, qui nous sert ici un cover de Crazy in Love très investi et franchement cool. L’ambiance dérange, l’espace envahit. Et de la masse naît une sensation de violence et d’oppression.

Écrite et mise en scène par Édith Patenaude et Jocelyn Pelletier, deux talentueux jeunes créateurs de Québec, l’œuvre va à l’encontre de la tendance actuelle du spectacle minimaliste en impliquant deux compagnies, TectoniK et Les Écornifleuses. Pour ces deux auteurs, parler d’individualisme en équipe, tout en puisant une part d’inspiration dans l’autofiction semble faire mouche et nourrir l’ingéniosité du texte et de la proposition tout entière. Le spectacle s’adresse à la part de nous qui s’enlise sous la junk de notre époque. À l’heure où il faut exister dans le vrai et s’investir dans un univers parallèle d’ondes et d’apparences, le propos résolument actuel vaut la peine d’être interprété comme un questionnement du sens individuel et collectif de nos vies, comme un besoin de lucide et de lumière à travers ce qui nous choque et ce qui nous brise.

Disparaître Ici
Jusqu’au 4 avril au Théâtre La Chapelle | lachapelle.org

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