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Designers montréalais: les mains dans la matière

Un vent de fraîcheur souffle sur le design montréalais. Non, ce n’est pas un des curieux effets secondaires de ce printemps hâtif. Ou encore le résultat du statut de ville design accordé en 2006 par l’UNESCO à Montréal. Il y a plus. On n’a qu’à noter les nombreuses manifestations hors métropole des designers d’ici, le présence au Salon du meuble de Milan de Philippe Malouin et de Samare, la publication dans le prestigieux Monocle d’un article sur les meubles construits par À Hauteur d’homme, la réputation des jeans Naked & Famous dans les boutiques de Los Angeles et Tokyo. Petite révolution? Le mot est lourd et maladroit. Chose certaine, il se fait de plus en plus de belles choses chez nous.

Quand le design flirte avec l'art(isanat)
«Quand j’ai quitté Sid Lee pour partir ma compagnie À Hauteur d’homme, le magazine Monocle avait, à quelque part, confirmé mon changement de carrière. Un numéro d’octobre écrivait Craft makes a come back. Je voyais justement qu’en design, on s’en allait de plus en plus vers des petites entreprises modernes qui mêlent, aux allures artisanales, une démarche de design industriel.»

Louis-Philippe Pratte, l’homme derrière À Hauteur d’homme (Hh), a justement conçu une marque soignée qui, autour d’un discours écologique, conçoit des produits de bois. Si le travail derrière le meuble Hh est celui d’un ébéniste, l’image de marque, la cohésion des objets proposés, rappelle bien la démarche d’un designer. En design, le fait main a en effet la cote, que ce soit la babiche tressée des chaises signées par Samare, les assiettes «mangeables» de Diane Bisson, le denim tissé artisanalement au Japon de Naked & Famous ou le bricolage tactile avec colle et ciseau de Julien Vallée. Les designers d’aujourd’hui ne sont plus uniquement rivés à leur écran d’ordinateur, ils mettent la main à la pâte. L’avantage de cette démarche? Les produits proposés se distinguent du Made in China – prêt à casser en moins de deux – puisqu’ils gagnent en qualité.
Frédéric Gauthier, éditeur de La Pastèque, organise pour les journées Portes ouvertes de Design Montréal une soirée-événement autour de neuf designers «émergents» – ou si vous préférez, neuf créateurs dont la démarche est ancrée dans une réelle contemporanéité.
Le choix de designers d’objets, créateurs d’installation ou de mode Naked & Famous, Diane Bisson, Bruxe, Guillaume Sasseville, Philippe Malouin, Ying Gao, Julien Vallée, Samare et À Hauteur d’homme (Hh) – s’est fait à partir d’une longue réflexion. «De toute évidence, il y a un retour vers l’artisanat qui s’exprime par le goût du travail manuel, de la recherche et de la provenance de matières premières de qualité, expose Gauthier. Par la mondialisation et l’envie d’acheter local, une prise de conscience se fait aujourd’hui en ce qui touche nos achats de vêtements ou d’objets design pour la maison. Et cette prise de conscience est également ancrée dans la pratique des jeunes designers d’ici.»

Aujourd’hui basé à Londres, Philippe Malouin, une étoile montante du design représentée par des galeries de Londres, Milan et New York, constate et relativise le lien entre le designer et l’artisan. «Je suis d’une certaine façon un artisan, surtout lorsqu’il s’agit de travail pour les galeries. C’est une partie de mon métier d’assembler. Tu vois, ça fait quatre jours que je suis sur une pièce avec mes stagiaires pour mon premier show solo à Paris.   Évidemment, quand je bosse pour des industriels comme Campeggi et Droog, ce n’est pas le cas, on touche à rien.                                                

Je crois que c’est important de ne pas se leurrer en tant que designer. Il ne faut pas se faire accroire que nous sommes des menuisiers, qu’on est un gars de bois ou un gars de plastique quand on ne l’est pas. Il existe des spécialistes et je leur laisse leur métier.»

Même son de cloche pour Diane Bisson qui oeuvre dans le domaine plus qu’émergent du design culinaire. La fabrication d’assiettes mangeables peut s’inscrire dans une démarche artisanale, où dans le cadre d’une chic soirée de grands chefs servant leur concoction dans une assiette verte au goût somptueux. Mais pour Bisson, cette idée novatrice et comestible répond avant tout à un besoin sociétal, celui de diminuer notre consommation d’assiettes de plastique jetées tous les jours dans les cantines, dans les écoles ou lieux de travail. «Vu l’envergure de mon projet, j’ai besoin de partenaires de taille comme l’ITHQ, de scientifiques en alimentation, des laboratoires et centres de recherches en agroalimentaire. Pour moi, le côté artisanal de mon projet n’est qu’une étape. Il relève de la nécessité d’expérimenter et d’explorer.»

Un ailleurs nécessaire
Un autre lien qui relie les designers d’ici est cette nécessité de tisser des liens à l’étranger. L’exemple le plus probant est celui de Malouin, reconnu aujourd’hui pour ses projets inventifs, des chaises qui deviennent des cintres ou ce lit d’appoint qui se transforme en
petite tente, sorte de niche aux allures de maison pour enfant. Mais Malouin n’est pas le seul à circuler dans les réseaux internationaux du design. Tous les participants de la soirée organisée par Frédéric Gauthier ont leur réseau hors Montréal. Ying Gao, avec ses robes-sculptures, connaît elle aussi un succès dans le circuit artistique des galeries.
Julien Vallée qui compte des manifestations à Berlin, à Séoul et à New York, assurait dernièrement la page couverture d’un livre de référence sur le design tactile planétaire. Naked & Famous et Bruxe vendent aussi bien, sinon plus ailleurs qu’ici. Les allers-retours entre Montréal et le monde sont essentiels pour la plupart.

Sortir de Montréal est donc essentiel pour le designer d’aujourd’hui? Pour Malouin, la reconnaissance qu’il cueille aujourd’hui n’existerait pas sans son déménagement permanent à Londres, en Europe. «On n’a pas le même marché au Québec. Il y a des gens comme Pierre [Laramée] de chez Commissaires (NDLR: dont la fermeture a été annoncée quelques jours avant de boucler ce numéro), qui pousse pour créer une ouverture. Mais je n’arriverais pas à payer mon loyer et ma bouffe en faisant ce
que je fais à Montréal. J’aurais besoin de m’ouvrir une boutique, ce qui demande un capital de base, chose que je n’avais pas.» Et puis le manque d’éditeurs au Québec, à l’exception de Trudeau et de quelques autres, explique aussi la nécessité d’aller
voir ailleurs. «Souvent, aller voir ailleurs permet de faire marque. Quand on revient, on désire souvent mettre de l’avant les matières d’ici», affirme positivement Frédéric Gauthier. C’est dans le cadre d’une soirée-performance où les neuf créateurs
montrent et fabriquent en temps réel que l’on pourra se familiariser avec ces designers d’ici. Son commissaire instigateur, Frédéric Gauthier, chérit le rêve de transporter cette soirée carte de visite vers d’autres villes, de Berlin à Buenos Aires. Chose certaine, des liens se tissent déjà au sein des designers. «Après notre première rencontre pour la soirée, Brandon de Naked & Famous était à deux doigts de demander à Diane Bisson de lui faire des jeans comestibles.» De quoi affoler tous ses sens!

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