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David Altmejd parle de ses créatures géantes et revient sur son travail avec Pierre Lapointe

Installé à New York depuis quelques années, le trentenaire avait créé tout un éclat en 2007, lors de la Biennale de Venise par son exposition-installation Index au Pavillon canadien. Oiseaux empaillés, loups décapités, fleurs et arbres de plastique et un jeu de miroirs et de cristaux où se reflète cet univers à la fois onirique et baroque. Une étiquette allait dès lors lui coller à la peau. David Altmejd et son univers fantastique devenaient les porte-étendard d’un courant, le néo-gothique, sorte d’amour avoué pour une beauté grotesque, à contre-courant des beautés plastiques et des lignes épurées des plasticiens.

Lors de l’entretien téléphonique avec NIGHTLIFE.CA, le trentenaire qui choisit finement ses entrevues s’affairait au montage de ses oeuvres à la Fondation Brant, au Connecticut. «C’est immense ici. J’expose une trentaine d’oeuvres que la fondation a achetées au fil des ans. Je dois toutefois faire des allers-retours avec mon studio de New York pour terminer les dernières pièces.»

La récolte d’automne a été généreuse pour Altmejd. Montréal, la ville natale qu’il chérit toujours autant, expose son premier bronze, une sculpture intitulée L’Oeil, qui est exposée devant le Musée des beaux-arts de Montréal et qui présente un ange à la tête couverte de doigts et au thorax complètement vide. «C’est ma première expérience du genre, un bronze qui vit dehors au sein d’une ville. J’ai été dans les ateliers, j’étais présent à la fonderie. Je me sens proche de cette structure.»


Man 1, David Altmejd (2007)
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Courtesy Andrea Rosen Gallery, New York

 

Biologie, mutations et beautés atypiques
Si certains créent autour de leur nom une mythologie qui dépasse la réalité de leur vie, l’oeuvre artistique (et non la vie) d’Altmejd suscite le même genre de réflexion et de dépassement de sens. Des géants plus fantasques que vos propres rêves, des anges torturés et troués et des vaisseaux venus d’un autre monde, ces installations troublantes font appel aux grands mythes de l’humanité, aux contes qui ont animé ses débuts. Mais selon le principal intéressé, la matérialisation de ces créatures n’est pas le fruit d’une recherche poussée sur l‘imagerie de mythologies ou de contes ancestraux. Sa motivation première se situe de toute évidence ailleurs.

«Je n’ai pas d’intérêt particulier pour la mythologie. Et je n’en fais aucune référence consciente. J’arrive à ses choix pour des raisons pratiques et sculpturales. Si j’ai commencé à travailler avec la figure du géant, ce n’était pas que je me questionne sur la place du géant dans le mythe ou au sein de la culture contemporaine. C’était tout simplement parce que j’étais intéressé par le corps et l’architecture. Et j’ai réalisé que le corps du géant pouvait réunir ces deux intérêts. Le corps du géant est tellement grand qu’il peut contenir des espaces habitables. Pour l’ange, j’ai commencé à jouer avec cette image, car j’ai été invité à réaliser un projet de sculpture au sein d’une grotte préhistorique. Un espace incroyable, gigantesque, mais souterrain et donc, sans lumière. L’image de l’ange venait faire un contraste avec le bas et le haut, la noirceur et la lumière, la pesanteur et la légèreté. J’ai constaté que ces créatures que j’imagine pour des raisons personnelles et sculpturales créaient, une fois exposées, des liens avec le monde, à des choses beaucoup plus grandes que moi. C’est très satisfaisant de voir une oeuvre générer son propre sens, sa propre relation avec l’univers.»

Pour appuyer ses dires, Altmejd aime bien raconter à quel point ses oeuvres ne représentent en rien ses lectures, son style de vie ou encore, ses rêves. Ses choix artistiques sont dictés par des questions plus concrètes, voire même des préoccupations organiques et biologiques. Il est de ceux qui s’arrêtent en plein milieu d’une explication pour admirer la finesse d’une petite araignée. Ce n’est pas non plus cette obsession gothique autour de la mort qui l’habite, mais un fort instinct de vie, une idée précise de la beauté. «Je suis profondément attiré par le vivant, le mouvement de l’énergie. Pour moi par exemple, l’impression de vie qui se dégage de la nature est donnée par le sol, une matière en décomposition. Cette idée de transformation que je tente de saisir dans mes oeuvres est l’essence du vivant. Les natures mortes, propres à l’histoire de la peinture, représentent bien mon propos. Il y a toujours une mouche sur un fruit, une fleur séchée dans un bouquet, une limace gluante sur la tige de la tulipe. Lorsqu’il y a infestation, une opposition, la représentation  devient vivante. Sinon, le tableau est pour moi invisible.»

 


Photo portrait: Pascal Grandmaison et Frédéric Bouchard, Galerie de l’UQAM et Productions 3pm inc.

 

Une rencontre sous le signe de la transformation
Au printemps dernier, Pierre Lapointe présentait aux côtés de David Altmejd, Conte crépusculaire, une opération musicale et visuelle à la Galerie de l’UQAM. Chez Pierre, l’influence de David Altmejd s’est fait ressentir dès 2007, suite à une exposition à la Galerie de l’UQAM. «Je suis tombé à la renverse. J’ai fait ce que je ne fais jamais, je lui ai demandé de signer le livre de Louise Déry, qui lançait un ouvrage sur David durant ce vernissage. Je trouvais ça drôle qu’un artiste visuel signe un autographe pour un chanteur. Par la suite, je suis allé à New York dans son studio, à des expositions. Je me suis rendu à la Biennale à Venise où il a fait sensation», affirme le chanteur. Il faut dire que Pierre a toujours cultivé une relation toute particulière avec l’art visuel, qui cristallise l’esprit de ses albums. «Tu vois, La forêt des mal-aimés a été influencé par une photo Jeff Wall, qui a mis un vocabulaire dans ma bouche. Mutantes, lui, a été empreint du travail de David Altmejd, qui a clarifié ce que je voulais faire. Il a tout déclenché.»

Dès lors, Pierre Lapointe rêve d’une collaboration hors norme avec l’artiste visuel. S’enchaîne alors une suite de rendez-vous manqués qui se matérialisent par une véritable manifestation en mai dernier. Selon les principaux intéressés, le choc des deux univers est, dès ces débuts, chimique, organique et même brutal, une rencontre créative immortalisée par Pascal Grandmaison dans un documentaire prévu en salle et en festival pour le printemps prochain. «Nous, les musiciens, nous avancions les yeux fermés dans cette aventure. David, qui ne connaît pas le show, n’a pas de plans, pas d’esquisses, utilise peu de mots pour expliquer ce qu’il fait. Il marche à l’instinct, comme un sculpteur. Deux jours avant l’évènement, nous travaillions tous encore sur cet environnement. On plaçait des cristaux un peu partout. Pour moi, ce genre de rencontre est précieux. C’est une sorte d’école alternative pour grand enfant. On apprend beaucoup à regarder l’intégrité de l’autre se faire aller.» 

Cette rencontre est tout aussi déterminante pour Altmejd. «J’ai fait des choses que je n’aurais jamais faites. Avec mes sculptures, je suis habitué de travailler dans des milieux traditionnels, les galeries et les musées. Mais faire des choses sur un stage avec des gens qui bougent, qui ont leur propre vision, leur propre voix, cela m’a apporté une contrainte extrêmement positive. J’ai beaucoup apprécié ne pas être préoccupé par la permanence d’une création. À quelque part, ça m’a libéré dans le choix des matériaux, j’ai utilisé des fleurs, de la cire. Aujourd’hui, grâce à Pierre, à cette création à deux, j’ai une foule de nouvelles idées, de nouvelles pistes.»

C’est bon signe. David Altmejd n’a pas fini de nous raconter des histoires venues d’un autre monde.

 

L’OEil | Devant le Pavillon Claire et Marc Bourgie
Musée des beaux-arts de Montréal | 1339, Sherbrooke O. | mbam.qc.ca

 

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