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Cover bands: se prendre pour un autre

Le fantasme d’un musicien avide d’autodérision est d’être payé en Molson Canadian après avoir passé une soirée à entendre: «Hey, can ya guys play some Skynyrd?», ou sa version de l’Est: «Haille, jouez-en un bonne!»

Rien ne dit «épanouissement à long terme» comme une bonne baisse d’estime de soi. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour se rendre compte que Jean-Guy et Joe Blow, qui font des reprises franco d’Hank Snow, accompagnés par une boîte à rythme Casio au Bar Paspépiac, ne le font pas dans le but de faire tourner les têtes sur la rue St-Laurent lors de leur prochaine visite au Jean-Coutu. Néanmoins, ça prend potentiellement la tête à Papineau pour se demander pourquoi, lorsqu’on parle de cover bands, on peut penser à Jean-Guy et Joe Blow, mais on peut renverser la vapeur et penser à un tas de musiciens accomplis, cultivés et originaux, qui sont tout sauf une bande de ratés pour qui l’heure de gloire sonne à la porte de derrière lorsqu’il est temps de passer essayer des flying V chez Steve’s.

L’une des histoires les plus mystifiantes est celle de Buddy McNeil and the Magic Mirrors. Le groupe issu des ramifications déjantées de formations telles Navajo Code Talkers et Les Mods tire son nom d’un interprète obscure n’ayant jamais vraiment endisqué, qu’Alexis et Isabelle rencontrèrent à Peterborough dans un bar rock. Le bonhomme, après quelques verres, se voyant face à ce qui était selon lui une image de son passé (Alexis), propose à celui-ci tout son répertoire, en le sommant d’utiliser ce qu’il voulait bien bidouiller.

«Ce fut tout simplement une rencontre parmi tant d’autres. Juste une autre personne que tu rencontres dans un bar en tournée, le genre de monsieur qui reste une anecdote», raconte Izi La Terreur.

Tout cela aurait été en effet une anecdote divertissante pour quatre ou cinq secondes, mais le fait est que quelques semaines après leur retour de tournée, Alexis a reçu un paquet rempli de bobines contenant ce qui semblait bel et bien être les compositions de l’homme qui se présenta un soir sous le patronyme de Buddy McNeil. Depuis, le groupe, qui a ouvert pour Brian Setzer au Festival d’été de Québec, trimbale ses arrangements des compositions originales de McNeil (et quelques incontournables de Buddy Holly et Ritchie Valens) tout en évitant le plus possible l’appellation  «cover band», qui les fait grincer des dents.

«Notre manière de composer diffère de celle des autres groupes, car on ne trace plus la ligne entre composition originale et reprise. On fait pas mal plus du patchwork en rajoutant de la viande autour de l’os.»

On a peut-être ça dans le sang…
Lorsqu’on parle de reprises, il faut également garder en tête que, la langue française s’étant mise comme une grosse vache au milieu du chemin entre les Québécois et les chansons des groupes américains et britanniques à la fin des années cinquante et soixante, l’un de nos sports nationaux de l’époque (après la pédophilie cléricale et la politique douteuse) était bel et bien la reprise avec un grand «R».

Parlez-en avec Lyse Desgagnés (de Lyse & the Hot Kitchen), le plus consistant et surtout le plus pertinent des moulins à parole de la planète Montréal. Celle qui fit son éducation musicale au sein d’un corps de clairon dans une banlieue de la ville de Québec il y a… – un peu de respect pour la dame… disons que malgré qu’elle ne fasse absolument pas son âge, l’inimitable Lyse fit ses classes il y a assez longtemps pour qu’elle ait aussi joué avec le regretté Ray Condo – fait équipe depuis un peu plus de cinq ans avec son légendaire (avec un très grand ‘L’) ami et mentor Arthur Cossette. C’est avec cet homme à l’aura remarquable, dont le pedigree comprend Les Jaguars, Les Sinners et Robert Charlebois, que le groupe reprend aussi aisément les Collin Kids et Wanda Jackson que des classiques de Boris Vian.

«C’est rare qu’on puisse dire ça, mais avec Arthur à mes côtés, j’ai les moyens de mes ambitions; il peut tout jouer et son répertoire est immense. Ça me fait toujours rire de manière sarcastique lorsque j’entends des gens parler du gars à la moustache blanche qui s’apprête à monter sur scène. Tu sais, c’est un peu un cas de ‘‘fais tes classes, connais ton histoire de la musique’’ et tu repasseras. Je veux dire, Arthur est une légende vivante, mais c’est aussi mon meilleur ami et je ne tolère pas qu’il ne reçoive pas tout le temps le respect qu’il mérite en tant que monument de la musique.»

Gagner ses épaulettes sous une casquette empruntée…
Cette importance liée au respect des artistes est un peu ce que ces groupes de «covers» font ressortir de leur performance. En fait, c’est ce qui les différencie des hommages bon marché: le besoin de ne pas donner au public tout ce qu’il veut. Une approche que partage Filly and the Flops (en photo). Felicity Hamer et Eddy Blake, deux musiciens qui n’ont que faire de l’opportunisme et du m’as-tu-vu, ont des dégaines d’une autre époque et un charisme diamétralement opposé à l’introversion archifausse qui se veut l’apanage des groupes indie rock messianiques faisant dans leur culotte avant chaque intervention du genre : «La prochaine parle de…».

Question de jouer l’avocat du diable, je demande donc à Blake pourquoi, après tant d’années d’existence et une possibilité musicale si restreinte – si l’on se fie à ce que les formalités peuvent être quant à la définition puriste de ce qu’est le rockabilly –, la musique que les Flops se tuent à reprendre serait-elle encore pertinente et surtout, comment ne pas tourner en rond?

«Tu sais, on peut voir ça comme ça, mais une autre façon de regarder la chose est de faire ce que l’étiquette de disques Norton Records fait de mieux: utiliser le rockabilly en jouant avec ce dont cette musique est constituée. Autrement dit, sans rendre le tout dilué, tu joues avec le côté blues et le côté country et tu te promènes aussi loin que possible avec ça.»

Venant de quelqu’un qui connaît son histoire de la musique sur le bout des doigts, c’est tout le temps encourageant d’entendre que la simplicité est souvent la voie la plus simple. Et si ce n’était que ça? Blake et Felicity sont d’ailleurs d’une race en voie de disparition: les gens charismatiques.

Un peu comme tous les autres musiciens dont cet article fait mention, les Flops ont un regard posé sur la musique et une attitude qui convainc que leur performance est en rapport avec quelque chose de bien plus grand: une expérience continuelle. Autrement dit, peu importe les couches d’ego sous lesquelles on se cache, monter sur une scène c’est avant tout avoir quelque chose à exposer, ce qui présuppose qu’on y croit et qu’on est potentiellement capable d’argumenter ou bien par ses paroles ou bien par l’extension métaphysique de sa musique.

Lyse and the Hot Kitchen
16 octobre | L’Escogriffewww.myspace.com/lyseandthehotkitchen

 

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