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Braids: les tresses de la sagesse

Auteur: Olivier Lalande
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Braids: les tresses de la sagesse

Sages paroles que celles d’Austin Tufts. Adossé à une vitrine de la rue St-Viateur, où nous profitons de l’un des derniers chauds après-midi d’automne en compagnie de la chanteuse et guitariste Raphaelle Standell-Preston, le batteur de Braids parle de la patience et de la prudence dont a dû faire montre son groupe avant de lancer Native Speaker, premier album qui paraîtra finalement le 18 janvier. Mais il pourrait tout aussi bien être en train de parler de sa musique – une pop expérimentale fouillée, teintée de shoegaze, d’ambient et d’électronique – ou de la dynamique qui unit les quatre membres… Braids, on dirait bien, est un groupe sage à tous les égards.

Pourtant, on ne parle pas ici de vieux routiers aguerris. Tufts, Standell-Preston et le bassiste Taylor Smith ont tout juste 20 ans, tandis que la claviériste Katie Lee en a 21. Mais depuis leurs débuts sous le nom The Neighborhood Council, en janvier 2007, les quatre copains d’école ont eu l’occasion d’aller au bout d’eux-mêmes. D’abord en quittant leur Calgary natal pour s’établir à Montréal, en janvier 2008, ensuite durant ces premières expériences de tournée qui leur ont valu l’approbation impatiente des New York Times, Exclaim!, Filter, The Independent et autres voix non négligeables. Puis, enfin, durant les neuf mois nécessaires pour autoproduire Native Speaker, une expérience 100% DIY que Tufts décrit comme l’illustration parfaite de l’expression «essais et erreurs».

«On aurait très bien pu passer le restant de nos vies à peaufiner cet album, indique Tufts. À un moment donné, il a fallu se dire: ‘‘OK, screw it, choisissons une date pour le mastering.’’ Ça nous laissait trois mois pour tout finir… On a terminé de mixer deux heures avant de l’envoyer…»

Les aventuriers du far Ouest
The Neighborhood Council est devenu Braids, parce que Braids n’avait plus grand-chose à voir avec The Neighborhood Council. Un premier chapitre à saveur plus folk, selon Raphaelle. «Taylor jouait encore de la contrebasse, Austin jouait de la batterie jazz, je jouais la guitare acoustique que mon oncle m’avait achetée, et Katie jouait du piano… On n’avait pas encore compris toutes les possibilités sonores qui se présentaient à nous, relate-t-elle. Tout ça a changé lorsque nous avons découvert Animal Collective. Nous étions très jeunes. On était encore au secondaire, on vivait avec nos parents…»

Austin ricane: «La gloire! T’arrives de l’école, tu jettes ton sac, tu pratiques, tu sors et le souper est prêt… Tu manges, tu fais un peu de vaisselle, puis tu retournes pratiquer jusqu’à ce que tu n’en puisses plus… Voilà comment c’était, la vie à Calgary! Tellement facile!»

À se demander, en effet, pourquoi le quatuor a laissé tout ça derrière lui. «Katie, Austin et Taylor voulaient aller à l’université… On était tous acceptés à McGill», précise Raphaelle. Depuis, toutefois, chacun a laissé de côté ses études pour se consacrer entièrement au groupe. En parallèle, Raphaelle est aussi impliquée dans la gestion du label Arbutus Records (Silly Kissers, Sean Nicholas Savage, Grimes, etc.) ainsi que dans le tandem Blue Hawaii, deux projets menés avec son copain, Alex «Agor» Cowan.

«Le déménagement a assurément eu un impact sur notre musique et nos vies. On a appris à vivre par nous-mêmes, on a grandi en tant que personnes», indique Austin. D’un local de pratique louche à l’autre, la bande s’est tournée vers un son plus électrique et électronique. Les effets sonores y ont autant d’importance que les instruments «véritables», produisant une musique «tressée», d’où le nom du groupe.

Les crescendo y sont constants, mais le volume est une arme que Braids préfère ne pas utiliser. «C’est aussi efficace de se taire que d’exploser», commente simplement Austin. «On a pris du temps à trouver comment créer cette impression d’espace, ce sentiment de douceur…»

Quatre têtes, une quête
Perfectionnistes assumés, ils avouent que la composition prend chez eux des airs de longues séances de tergiversation, où chacun présente et défend ses idées. Un processus qu’ils aspirent à alléger et à rendre plus «positif», quoique, comme le souligne Raphaelle, «on ne se crie pas après comme Metallica! Sauf que, comme on est meilleurs amis, on peut rester sur nos positions pendant une éternité et avoir de la difficulté à sortir harmonieusement de ces impasses.»

Ce qui sort du local de pratique finit tout de même par être un point de rencontre des aspirations de chacun. Austin analyse: «Je remarque maintenant que la musique que nous écoutons chacun de notre côté est toujours conçue d’une certaine façon. C’est une balance vraiment délicate de complexité, d’émotion et de réflexion sur les plans rythmique, mélodique et harmonique. Généralement, si une musique me laisse indifférent, c’est parce qu’elle n’explore qu’une seule de ces facettes. Par exemple, la musique percussive peut présenter une complexité rythmique incroyable, mais souvent aux dépens de la mélodie et de l’harmonie. La musique pop, elle, contient souvent des mélodies très fortes, mais néglige l’harmonie et la complexité rythmique. La musique qui m’intéresse et qui intéresse Braids est celle qui explore toutes ces facettes. On croit que c’est possible d’avancer dans toutes ces directions.»

Wô, les moteurs
Alors que la tradition veut que ce soit l’artiste qui soit ralenti par la bureaucratie des maisons de disques, dans ce cas-ci c’est bien Braids qui a tenu à modérer les ardeurs de Kanine Records (Surfer Blood, Grizzly Bear, Chairlift), qui lancera Native Speaker aux États-Unis après avoir été la première à courtiser sérieusement la troupe. «Quand nous sommes allés jouer à New York pour les compagnies de disques, en mai, Lio (Cerezo, patron de Kanine) était débordant d’enthousiasme. Il voulait lancer l’album à travers le monde sur-le-champ!» raconte Austin. «Mais on commençait à peine à magasiner. On souhaitait explorer d’autres avenues pour la distribution canadienne du disque et s’assurer qu’on ne serait pas liés à une seule maison de disques pour le reste de notre carrière.»

Il a fallu attendre la dernière édition du festival Pop Montréal pour que les représentants du label Flemish Eye (Women, Chad VanGaalen) voient Braids sur scène et acceptent de lancer l’album au Canada. «Quand tu viens de Calgary, Flemish Eye est un des points centraux de la scène canadienne. On a traversé le pays quelques fois et on n’a jamais rien trouvé qui se comparait à leur vision et à leur créativité», souligne Austin, persuadé que le groupe a bien fait d’attendre avant d’envoyer Native Speaker sur les tablettes. «Maintenant, on a une équipe si forte de labels, d’agents de tournée, d’avocats, de gérants, de relationnistes… Il n’y a aucune incertitude!»

Et si l’opus représente en quelque sorte un chapitre passé de l’histoire de Braids, le clan ne craint pas d’avoir à en ressasser le contenu durant la prochaine année en tournant. «Oui, il faut faire de la tournée, mais non, on n’a pas absolument à tourner cet album en particulier!» déclare Austin. «Tu vois la différence? On peut vendre un disque tout en continuant à jouer la musique qu’on veut. L’exemple parfait de cela est Animal Collective. Lorsqu’ils tournent, ils jouent les chansons de leur album à venir. Ça a toujours été le modèle à suivre, pour nous. Toujours avancer musicalement, quoi qu’il arrive!»

Braids
20 janvier | Sala Rossa
4848, Saint-Laurent
avec The Pop Winds et Long Long Long
www.myspace.com/braidsmusic

Photographes SPG LePigeon | studiospg.com assistés de Jérôme Nadeau

Direction artistique et stylisme Yola van Leeuwenkamp, assistée de Catherine White et Rébecca Laurier