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Le jeune réalisateur percutant Rafaël Ouellet nous parle de son nouveau film primé, «Camion»

C'est dans un coin de resto du quartier Villeray que Rafaël Ouellet nous reçoit, carré rouge au t-shirt, pour discuter de son quatrième long métrage, Camion, lauréat de deux prestigieux prix au festival Karlovy Vary en République tchèque. Un beau film brun et gris qui nous transporte dans le Bas-St-Laurent, où deux frères (Patrice Dubois et Stéphane Breton) vont rejoindre leur père camionneur (Julien Poulin) qui se retrouve désorienté après un accident de route qui finit mal. Discussion de cinéma, de musique, de famille et de politique avec le jeune réalisateur.

 

De quel coin du Québec viens-tu?
Dégelis, là où le film a été tourné. J’y suis resté jusqu’à 17 ans, et je reste attaché à mon coin. Tous mes films ont été écrits en partie ou en entièreté dans la maison de mes parents. Mes films ont été tournés là, à part Derrière moi où il y a un peu de tournage à Montréal, le reste c’est que du Bas-du-Fleuve. Il y a un peu de tournage de Camion à Montréal, au Nouveau-Brunswick, mais c’est principalement là, sur la frontière du Nouveau-Brunswick, que j'ai tourné. De l’autre côté, il y a une autre frontière avec les États-Unis, où il y a une espèce d’amalgame de langage qui n’est pas inintéressant.

Ça part d'où, ton idée pour Camion?
D’un court-métrage documentaire sur la fin de carrière de camionneur de mon père. Je voulais filmer lorsqu’il fermerait le moteur. Après, je me suis reculé. Une journée, une semaine, un mois. Je me suis dit qu’un docu-fiction serait peut-être plus trippant, alors j’ai ajouté des éléments: un accident, un fils. J’ai commencé à trouver ça bon. J’ai ajouté un autre fils et ça a commencé à donner un long métrage. Il ne restait plus de trace de documentaire ou presque. J'ai terminé par évacuer toute notion d’autobiographie et de biographie. Je ne voulais pas trop parler de mon père. Il ne se serait pas senti à l’aise avec ça et de toute façon, l’histoire n'aurait pas été si intéressante non plus.


Stéphane Breton, Patrice Dubois et Julien Poulin dans Camion

Ton film ouvre sur un derrière de camion avec le «Je me souviens» de la plaque. L'image est forte de sens. Tu voulais dresser un portrait de la société québécoise actuelle avec le film?
Un peu. J'avais envie de faire un appel au calme. Je trouve qu'avec Twitter, les médias d’opinion, les éditorialistes… On peut-tu juste se parler? Je suis allé dans le sud des États-Unis récemment et j’ai trouvé les gens de la droite, qui pensent différemment de moi, plus ouverts. Il n'y a pas de combat contre toi. Il y a des combats d’idées, mais pas de combat contre toi. T’es dans une ville comme Nashville où c’est pas mal redneck, et les poubelles, le recyclage, les compacteurs à déchet fonctionnent à l’énergie solaire. Les gens qui sont arrivés avec cette idée, on ne leur a pas mis des bâtons dans les roues. Ici, je trouve qu’on est là-dedans. Même nous, on a beaucoup de mépris envers les gens de la droite. J’aurais envie d’appeler à l’unité. Dans le fond le film c’est ça, retournons à nos racines, apprenons à nous connaître, apprenons à apprécier nos différences, à se reconnaître dans les défauts et dans les qualités des autres pour en sortir grandi comme membre d’une famille.

Comment s'est passée l’expérience sur le plateau de tournage avec les acteurs?
De façon exceptionnelle. C'était le fun d'être pris en otage pendant un mois dans mon village natal. Les acteurs étaient dûs pour des rôles sérieux au cinéma. Je crois qu'ils ont embrassé le projet avec un dévouement total. J'ai aimé ça travailler avec eux parce que ça m'a amené à un vrai travail de direction d'acteur. Avant, je dirigeais des non-pros, le travail de direction se fait pareil, mais tu passes par ailleurs, au niveau du langage, tu développes des trucs, tu les triches même à la limite alors que là, il faut vraiment utiliser les vrais instruments pour les diriger dans les règles de l'art.

La musique occupe une place prépondérante dans ton film. C'était une nécessité, pour toi?
Je suis un mélomane. Il y a sûrement plus mélomane que moi, mais la musique a toujours été très présente dans ma vie professionnelle que ce soit avec la radio, MusiquePlus ou les DVDs de concerts. Mais c'est la première fois que j'utilise de la musique composée pour mon film. Viviane Audet et Robin-Joël Cool ne l'avaient jamais fait non plus. On a travaillé fort. Quand j'ai entendu leur musique, j’étais vraiment content. Je trouve que tout s'est bien accordé et c'était important pour moi de donner cette couleur.


Stéphane Breton dans Camion

Au niveau du cinéma, c'est quoi qui te fait vraiment tripper, ce qui t'as amené à faire du cinéma?
Quand je suis arrivé au début de la vingtaine, je ne voulais pas encore faire du cinéma. Après 20 ans, j'ai découvert le cinéma qui gagnait des prix ou qui avait une présence forte à Sundance… tsé en 1994-1995. C'était fait avec peu de moyen, des films personnels. C'est vraiment cette cuvée-là qui a déclenché la passion en moi, The Brothers McMullen, Clerks, Lone Star, Heavy, des Spike Lee, John Singleton… Après, j'ai découvert les grands maîtres du cinéma, Fassbender, Bresson, Van Sant et Bergman, qui est mon maître ultime.

Quel est ton avis sur le financement du cinéma en ce moment au Canada?
Si on est pour être en période d'austérité ou de coupures, on pourrait prendre le problème en amont, un peu comme avec la crise étudiante. Au lieu de dire «on va donner moins d'argent et on va couper les grosses affaires», on devrait peut-être faire, comme disent les étudiant en référence à une «saine gestion des universités», une saine gestion du cinéma. Il y a des gens qui volent de l'argent au passage, il y a des techniciens qui sont beaucoup trop payés… Qu'est-ce qu'on veut dans le fond? Du cinéma de qualité ou une industrie du cinéma? Je pense qu'on peut trouver un équilibre entre les deux.

À l'ONF, on n’aurait pas pu penser à faire une saine gestion de l’office au lieu de fermer la CinéRobothèque? Louer des locaux peut-être, louer des espaces? Je n’ai pas les réponses. Je ne suis pas un administrateur, mais je pense que là, on devrait comme société se diriger vers ça. L'argent disparaît beaucoup, on est en mesure d'austérité depuis câlisse dix ans, on peut-tu juste repenser la gestion, repenser l'administration?

 

Camion
En salles dès vendredi
kfilmsamerique.com