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Le jeune auteur Alexandre Soublière écrit pour sa génération, pas pour les matantes

Il y a peu de temps, le bon vieux Foglia proclamait dans sa chronique sacrée que Charlotte before Christ, le premier roman d’Alexandre Soublière, était le truc le moins chiant qu’il ait lu depuis longtemps. Pourtant, plein de monde de l’âge du populaire chroniqueur s’est vu profondément irrité par ce livre. Franglais à n’en plus finir, culture indie américaine en prédominance sur nos icônes nationales, cynisme grinçant, sexualité un peu sale entremêlée de technologie et une détresse constante qui se noie dans la fantaisie et la rébellion. Petrowski a chialé, les gens dans la vingtaine l’ont dévoré. Le gouffre entre les deux générations est imminent, et Charlotte before Christ revendique cette différence.

«Avant que les baby-boomers meurent et qu’il y ait un méga gap entre les deux générations, faudrait prendre plus notre place. Si ça continue comme ça, j’ai l’impression qu’on échappe notre culture un peu», affirme Soublière, 27 ans.

Il est doux et désinvolte en personne, mais avec un cynisme et un sens critique que l’on ne peut qu’associer à Sacha, le protagoniste de son roman. Charlotte before Christ dépeint les déboires de ce Sacha et de sa blonde Charlotte, qui s’aiment et se haïssent comme des fous, dépendent profondément l’un de l’autre et se vautrent perpétuellement dans la fiction, le seul remède à la détresse qui les habite. Soublière affirme que le livre est directement inspiré d’une ancienne flamme.

«Quelle est la part de fiction que tu es prêt à laisser entrer dans ta vie juste pour une histoire d’amour? Dans la relation, c’est comme si on était des personnages tellement on était ridicules parfois. J’en suis venu à me dire que, quitte à essayer de vivre comme Sid et Nancy, j’étais aussi bien de me transposer en vrai personnage et d’écrire un livre là-dessus. » L’histoire de Sacha et Charlotte vacille constamment entre mépris et idéalisation, entre fantasme et paranoïa.

Pendant la rédaction, Soublière a lu des ouvrages sur les tueries américaines et s’est intéressé à la violence et à la souffrance de gens qui commettent de tels crimes. «J’ai un peu essayé de récréer la situation de Columbine parce qu’ils étaient deux meurtriers. Qu’est-ce qui se passe entre deux personnes pour qu’elles en viennent à faire quelque chose comme ça? Comment font-elles pour se convaincre à deux? Dans le roman, j’ai rendu cette dynamique-là romantique. Les gens qui font des choses comme ça sont dans une extrême détresse.»

Désillusionné, intelligent et hésitant, le personnage principal est lui aussi habité d’une grande violence dont la cause est ambiguë. Sa masculinité est ambivalente: Sacha est partagé entre son désir d’être un «vrai gars» et la conscience que sa force véritable réside dans son intelligence, dans sa culture, son humour. «Si tu regardes des films comme Horloge biologique ou des séries comme Les Invincibles, qui décrivent des gens dans la mi-trentaine, leurs questionnements sont‘‘avoir des bébés ou pas’’, ‘‘qu’est-ce qui se passe avec ma job’’, etc. Cette masculinité-là est vraiment différente de la mienne ou de celle des gars que je connais.» La masculinité d’une génération postmoderne qui a grandi à grands coups d’antihéros, en même temps que la montée d’une conception moins rigide des genres, de la sexualité et d’une fascination généralisée pour le «cool». En lisant le livre, facile de reconnaître plein de Sacha dans son propre entourage.

Maniaque de fiction, Soublière regarde toutes les téléséries, tous les films. Il joue aussi au sein du groupe Montoire et est l’auteur de la websérie Dakodak, qui en est à sa deuxième saison sur Tou.tv et qui est pas mal moins corsée que Charlotte before Christ. En lisant son roman, on a l’impression d’entrer dans un gros fantasme sans tabous ni concessions, une denrée rare dans la contrée de Julie Snyder. «C’est super paradoxal, mais le livre est pour moi une façon de rattraper notre culture, et ce, malgré le fait qu’il y ait des anglicismes, des références à la culture américaine.» Peut-être notre génération lâcherait-elle les voisins du Sud si elle retrouvait un peu plus de Sacha et de Charlotte dans les médias du Québec…

Charlotte before Christ
Publié aux Éditions du Boréal
montoiremusic.com | tou.tv/dakodak