Aller au contenu
Gros coup de cœur pour une bédé québécoise qui traite de Weezer, des échecs amoureux et des 90s

En achetant des bouquins à L'Écume des jours, super librairie indépendante du Mile-End (125 rue Saint-Viateur O.), mon œil a été attiré par un petit ouvrage près de la caisse. Le titre? Pinkerton ou Comment j’ai appris à ne pas m’en faire avec la musique pop. Pinkerton? L’album de Weezer sur lequel j’ai déjà vu des mecs grands comme ça, forts de même et qui plus est, total barbus, écraser une larme? Yes. Ce ne pouvait qu’être bon. Ça l’était.

Signée François Samson Dunlop (dessinateur) et Alexandre Fontaine Rousseau (auteur), cette bédé relate l’aride épopée de deux copains qui viennent de se faire larguer par leurs blondes. Bleh. Tout en tentant de surmonter la douleur causée par la rupture, un terme synonyme de plancher-d'appart-recouvert-de-cartons-de-pizz-et-de-bouteilles-de-bière-cheap-vides, ils s’interrogent sur le pourquoi de leurs systématiques échecs amoureux. Théorie: ce n’est pas de leur faute, mais bien celle de la musique nineties au son de laquelle ils ont grandi: Beck, Radiohead, Nirvana… Que du joyeux, quoi.

Comment donc croire à la pérennité de l'amour quand ces bands ont bercé notre jeunesse?! Reste que si ces disques ont certes solidement nuit à la vie romantique de notre duo de protagonistes, ils finissent par en venir à la conclusion que l’œuvre la plus démoniaque, la plus tordue, celle qui est à l’origine de tous leurs maux, n’est nulle autre que, papapam, Pinkerton de Weezer.

 

Ce second album «indécemment autobiographique» de la bande à Rivers Cuomo, que même ce dernier a pris du temps à assumer pleinement, est imprégné pour les deux héros de la bédé, comme pour bien des gens d'ailleurs, «de souvenirs de dizaines d’échecs sentimentaux». «On dirait le journal intime de chaque jeune homme émotionnellement fragile après une dure rupture», explique l’un des mecs. Pour briser le cycle des séparations douloureuses qui se succèdent, il n'y a pas trente-six mille solutions. Eux, par contre, en trouveront une drôlement originale: «triompher» de chaque toune de Pinkerton pour en finir avec ce disque et enfin passer à autre chose (lire: une relation qui ne se concluera pas par un flop). La méthode qu'ils emploieront pour combattre la galette consistera à, et je cite:
1- Prendre une chanson
2- Déterminer l'enjeu
3- Analyser le texte
4- Déterminer une résolution

Pour certaines pièces, les deux copains tourneront les coins un peu ronds (par exemple, en surmontant Tired of Sex sans avoir enchaîné les one-night stand), tandis que pour d’autres, ils galèreront longtemps et frapperont bien des murs. Après tout, comment diable dompter cet ovni de Pink Triangle?!

Au cours de leur périple, ces mélomanes cinéphiles philosopheront sur un tas de choses: la poutine, les canards, les skinny jeans de Julian Casablancas, ces cochonneries de boissons énergisantes… Dans un moment grandiose, l'un d’entre eux élaborera un graphique composé des pourcentages exacts de tounes que doit ab-so-lu-ment comporter un MIXTAPE pour être efficace («20% de classiques intemporels, 15% de nouveautés déprimantes»…). Si c’est pas merveilleux, ça? Toute personne ayant passé des heures et des heures de son adolescence à concocter les mixtapes parfaits, adaptés à chaque circonstance et particulièrement aux peines d’amour, se reconnaitra dans ce procédé maniaque.

 

L’idée de cette bédé est géniale et l’ensemble visuellement impec. Le propos, quant à lui, aborde des trucs profonds (love, love, love) sans toutefois se prendre trop au sérieux. On a adoré le texte d'Alexandre Fontaine Rousseau, tout comme les dessins de François Samson Dunlop qui illustre, en noir et blanc, avec humour et doigté, les aventures de ces deux copains au cœur brisé. Deux mecs à la fois imprégnés jusqu’à la moelle de la pensée torturée et tendre de l’ami Cuomo, mais néanmoins capables d’autodérision et d'autocritique.

Employant un discours à la fois pissant et érudit, cette bédé indie qui fleure bon Montréal se lit d’une traite. Et, s'il est vrai que l'on s’esclaffe sans arrêt devant les déboires des deux compagnons, il faut avouer qu’au final, c’est franchement touchant. Un coup de coeur.

 

Pinkerton ou Comment j'ai appris à ne pas m'en faire avec la musique pop
François Samson Dunlop et Alexandre Fontaine Rousseau
Éd. Colosse, 2011

Plus de contenu