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Catherine Pogonat: après Mange ta ville, la reine de l’indie québécois modifie son menu

Pendant que la douce voix de Patrick Watson résonne dans le studio, le chorégraphe Dave St-Pierre et le danseur Frédéric Tavernini apprennent à Catherine Pogonat à s’abandonner dans la danse. Elle déboule dans les bras de Tavernini, qui la dépose doucement au sol. «Tous les sauts, toutes les chutes, doivent être comme ça dans la vie, en fait. Il faut que tu y ailles et il y a toujours, à la dernière minute, quelqu’un qui va venir te ramasser», commente St-Pierre. À ce moment-là d’Inventer la suite, le superbe court métrage que Pogonat et son équipe ont pondu comme dernier épisode de Mange ta ville, difficile pour tout coeur montréalais de ne pas pleurer la fin du magazine culturel.

C’est la mort d’un petit bijou qui existait depuis 2005 sur ARTV et dont la forme et le fond séduisaient à peu près tous les habitants de l’Île. Une rafraîchissante réalisation aux allures cinématographiques d’Éric Morin, des thématiques ingénieuses, des invités de toutes les sphères artistiques, de beaux petits racoins de la ville, des prestations de bands québécois et, bien sûr, mademoiselle Pogonat. Comme le raconte Inventer la suite, la fin de Mange ta ville est aussi un tournant majeur pour la trentenaire égérie de la culture indie québécoise.

Mais quand elle arrive à ma rencontre dans la vraie vie, je ne m’inquiète étrangement pas pour elle. Deux combat boots au goût du jour s’avancent, puis deux grandes perches de jambes dans un denim flatteur suivent, puis une tête couettée, des aviators qui cachent deux grosses billes noires de yeux, et un vieux cellulaire anachronique scotché aux oreilles. La fille est en retard, nonchalante, plutôt gentille et posée. Elle est accessible mais distante. Généreuse mais mystérieuse. Et sa confiance calme est vachement intimidante.

«À Mange ta ville, on se rendait compte à quel point on avait de la chance. On faisait quelque chose de rare, je pense.» Pour Catherine, l’ensemble de l’émission a été une suite de moments forts. Parmi ses rencontres les plus marquantes, Xavier Dolan («C’était hallucinant. Il parle tellement!»), Philippe Katerine («Le summum de l’absurdité»), Jean Leloup («Ça a bien été, mais tu sors de là épuisée») et Beck («J’étais pétrifiée»). À la télé, Catherine Pogonat semble tout sauf pétrifiée, et d’épisode en épisode, de Martha Wainwright à Marc Labrèche, elle évite la complaisance et semble accéder au vif du sujet, comme si elle s’entretenait avec de vieux amis. À Mange ta ville, le superficiel et le convenu prenaient souvent le bord pour laisser place aux artistes et à la beauté imparfaite de Montréal.

 

La beauté dans l’imperfection

Et cette ville dont elle a ratissé la culture pendant cinq ans, est-elle devenue la femme qu’elle connaît par coeur et qui l’attend chaque soir dans son lit, ou est-ce encore une jeune maîtresse excitante et imprévisible? «Ce serait plus comme une blonde avec laquelle tu sors depuis un bout, mais qui changerait d’habillement et de coupe de cheveux régulièrement.» De toute évidence, l’animatrice aime Montréal, mais n’hésite pas à critiquer son manque d’ambition dans ses projets artistiques et architecturaux, son complexe d’infériorité par rapport à des villes comme New York et son laisser-aller un peu chaotique. Elle aimerait que Montréal exploite plus son art à l’image de Berlin, qui tapisse ses rues et ses bâtiments d’oeuvres.

«Je me suis rendu compte que de rencontrer des artistes et de m’entourer de beauté, ça me faisait me sentir bien et que ça rendait la vie encore plus intéressante. Il me semble que quand une oeuvre t’a marquée, pendant les heures qui suivent tu te sens un peu plus beau. C’est sûrement pour ça que quand je parle d’un artiste que j’aime, j’en parle avec cet enthousiasme-là», dit celle qui dit apprécier par-dessus tout les oeuvres volontairement ou involontairement imparfaites. De sa propre beauté à elle, ces traits foncés et angulaires qui font intimement partie de l’expérience Mange ta ville, Catherine en parle comme d’une image dont elle ne se sert pas consciemment et admire ceux qui sont capables de bâtir une forte projection d’eux-mêmes, telle une oeuvre d’art.

 

Seule en son genre

Quand je lui fais remarquer qu’il y a quelque chose de narcissique dans le fait de vouloir être vu et entendu à la télé, elle acquiesce sans hésiter, précisant que pour faire son métier, le désir de faire partie d’un spectacle est aussi important que celui de découvrir, d’interroger les autres. Inventer la suite était d’ailleurs une expérience plutôt narcissique, une autofiction fantasmée réunissant tous les éléments qui faisaient le charme de Mange ta ville et montrant l’animatrice dans une vulnérabilité inhabituelle. Au moment du tournage, juste avant la dernière saison de l’émission, l’équipe ne ressentait pas du tout cette insécurité et l’a utilisée comme élément dramatique. Ironiquement, c’est quelques mois plus tard, lorsqu’un projet commun est tombé à l’eau, que chacun a vécu son deuil de Mange ta ville et momentanément affronté le néant qui en découlait. Pour Catherine Pogonat, c’était la peur de ne rien trouver qui lui convienne professionnellement. «Si tu regardes les médias au Québec, il y a plein de choses que moi, je ne ferais pas, dans lesquelles je ne serais pas bonne. Quand le projet est tombé, je me demandais où je me voyais et je me voyais à peu d’endroits.» Mais Catherine fait partie des rares animatrices qui n’a jamais eu à vendre son âme pour avoir du travail: elle participe à la conception de presque tous ses projets et s’investit viscéralement dans chacun d’eux.

Singulièrement, la carrière de Catherine Pogonat semble évoluer dans une petite bulle indépendante du reste plutôt frileux des médias québécois. L’instinct, la passion et la confiance calme qu’elle dégage lui garantissent depuis dix ans une suite de projets bien reçus et une crédibilité accrue. De Bande à part à Silence, on court!, de Sacré Talent à Montréal en Lumière, Catherine affirme ne jamais avoir été obligée de taire quoi que ce soit lorsqu’elle animait. Jamais elle ne s’est sentie forcée de présenter un produit «cool» à son public amateur de culture alternative et dit s’être toujours fiée à son instinct. «Je pense que le public est apte à recevoir toutes sortes de choses et différents genres de traitements de l’information. Si tu parles bien de quelque chose, tu peux parler à peu près de n’importe quoi.»

Dans un monde où peu de magazines culturels réussissent à survivre et où l’empire Quebecor domine le divertissement, Catherine Pogonat est là, souriante, des projets et de l’art plein la tête. D’ailleurs, sa vision risque d’amener un vent de fraîcheur à MusiquePlus, où elle animera une quotidienne à partir du mois d’août prochain en plus d’une émission à Espace Musique cet été. Décidément, difficile de croire que cette fille a besoin de quiconque pour la ramasser.

 

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