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« Centre d’achats » d’Emmanuelle Jimenez au Théâtre d’Aujourd’hui : Capital de sympathie
Crédit: Valérie Remise

Dans le film Dawn of the Dead, réalisé par Georges A. Romero en 1978, les survivants d’un phénomène bactériologique inexpliqué se barricadent à l’intérieur d’un centre d’achats pour échapper aux zombies et pour éventuellement réaliser avec un effroi certain que les morts-vivants convergent vers le complexe, mus par une impulsion de consommer qui transcende la mort.
 
La proposition que nous fait le Théâtre de la Marée Haute, avec Centre d’achats, est certes une critique du capitalisme, un exercice répandu qui peut facilement tomber dans la redite s’il manque de profondeur, mais ses ingrédients sont multiples et savoureux. On y suit le cheminement de sept femmes qui ont trouvé refuge dans un centre commercial, alors que de forts vents soufflent à l’extérieur et que leurs diverses carences attendent, tapies dans l’ombre, qu’un élément déclencheur les fasse surgir.

 

Crédit : courtoisie

Alors que le temps des fêtes approche à grands pas et que les commerces de la province amorcent leurs multiples offensives publicitaires, cette création arrive à point nommé. Écrite par Emmanuelle Jimenez, et brillamment mise en scène par Michel-Maxime Legault, l’œuvre est lourde de symbolisme et regorge de dialogues en apparence anodins, qui en révèlent beaucoup sur des préoccupations telles que le vieillissement, la solitude, la pauvreté.
 
Les gros complexes commerciaux comme le Carrefour Laval ont servi d’inspiration à l’auteure, qui les voit comme des endroits où l’on vient se réfugier, parfois non métaphoriquement, comme les grands vents qui ouvrent la pièce l’indiquent, mais consommer n’est qu’un soulagement temporaire à des problèmes qui sont loin d’être d’ordre économique. Dans un endroit où on nous propose de mettre un prix sur le sens de l’existence, la solution aux défis de notre vie peut rarement être achetée, peu importe le prix qu’on y met.
 
Comme sur une place publique où se rassemble le peuple, les personnages se croisent parfois, en mode choral, mais évoluent surtout en duos. Josiane (Marie Charlebois) est accompagnée de sa sœur Suzanne (Anne Casabonne), et a rendez-vous avec sa fille Julie-Josie (Tracy Marcelin) qui souhaite acheter une robe pour son bal de finissante; Sandrine (Madeleine Péloquin) accompagne sa sœur Léa (Johanne Haberlin) afin d’acheter un cadeau à leur sœur mourante; et Simone et Yvette (Marie-Ginette Guay et Danielle Proulx) y retrouvent une communauté de retraitées, qu’elles observent – et jugent – de loin.

 

Crédit : courtoisie

La succession des musiques, parfois discrètes, souvent tonitruantes dans les boutiques, une overdose de stimulation qui épuise, est ici représentée par une litanie de slogans publicitaires, de promotions en vigueur, par la nomenclature déphasée d’objets inutiles. La succession des boutiques et de leurs allées s’apparente au labyrinthe du Minotaure, un endroit aussi épuré que claustrophobe qui permet aux personnages de combler un certain vide intérieur par une surface clinquante, une sorte de fausse projection de bien-être qui dissimule leur(s) insécurité(s).
 
Les coiffures abracadabrantes des actrices, et les vêtements clinquants et pailletés de Denis Gagnon, à ce titre, sont tout à fait à propos, et la scénographie épurée et minimaliste de Jean Bard complète habilement cette impression de factice froid et fonctionnel. L’entrée des coulisses est une cabine d’essayage, un portail vers un autre monde dans certaines scènes, un détail très sympathique.
 
Au sein de ce microcosme où un détail trivial peut revêtir une importance démesurée, comme la couleur d’une pantoufle qui provoque quasiment une crise chez Simone, certains personnages persistent à dire que le plaisir est inévitable en ces lieux, même si leur énergie vitale est irrémédiablement sapée à mesure que progresse le récit. Les petits irritants s’empilent jusqu’à une hauteur vertigineuse, et le drame surgit – voilà un mécanisme aussi simple qu’efficace, qui sert admirablement bien cette pièce qui remet l’humain à l’avant-plan de la «grosse machine capitaliste».
 
On pourra aussi entendre les mots de la dramaturge Emmanuelle Jimenez, début 2019, dans Cendres au Théâtre Prospero, et Bébés, la prochaine création du Nouveau Théâtre Expérimental au Théâtre Espace Libre.
 
Centre d’achats est présenté au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 1er décembre.