Aller au contenu
Le Détesteur: pourquoi je déteste quand même un peu les familles
Crédit: Murphy Cooper

Ok, je vais le dire. Je commence à détester quand même un peu les familles. Pas la mienne. J'ai toujours adoré la mienne.

Je commence à détester le concept de la famille contemporaine tel qu'il nous est suggéré depuis quelques années. Tellement que, quand j'aperçois des poussettes maintenant, mon corps se crispe d'irritation.

Il me semble, quand j'étais enfant, que le globe ne tournait pas autour de ma famille et moi. Que les quartiers, les villes et les villages n'étaient pas pensés en fonction de ma famille et moi. Que les fêtes et les festivals ne s'articulaient pas autour du confort de ma famille et moi.

Il me semble, je peux me tromper, que le tout se déroulait de manière organique, n'en déplaise aux caprices de maman et papa, en quête du bonheur et de la tranquillité absolus. Mes parents, comme ceux de mes amis, ne s'impliquaient pas tant dans le conseil municipal. Ils s'adaptaient. Faisaient avec ce qu'ils avaient. Je ne dis vraiment pas que c'est une mauvaise chose de faire entendre ses idées auprès des élus. Même que c'est souhaitable. Seulement, je n'ai pas souvenir d'avoir observé nos parents remuer ciel et terre pour que des initiatives ne concernant personne d'autre que l'immuable bloc compact que forment les membres d'une famille soient mises sur pied.

Il me semble que l'individu qui existe à part entière et indépendamment de tout groupuscule se qualifiant pour être appelé « famille » trouvait autrefois aisément sa place dans un environnement où les lécheux de crème glacée n'accaparaient pas tout un trottoir en entier comme si la terre, à cet instant précis de léchées partagées, cessait de tourner afin que le léchage en famille puisse opérer dans la paix. Il me semble que ce ne fût pas toujours le cas.

On dit que Montréal est « complètement cirque ». Je dis plutôt que Montréal est complètement famille. Si j'étais une famille et que je ne fonctionnais autrement qu'en famille, je serais comblé, j'imagine.

La semaine dernière, la STM annonçait que tous les titres de passage de son réseau seraient offerts gratuitement dans le cadre du week-end de la Formule E. Lire ici : métro et autobus gratuits pour les gens qui ignorent comment se comporter à l'extérieur de leur voiture. C'est-à-dire : les familles, encore. C'est-à-dire : ceux à qui on n'a jamais montré comment circuler sur les trottoirs sans engendrer le tabarnack de chaos all over la ville.

Évidemment, elle en a fait l'annonce une fois la semaine bien entamée alors que plusieurs, dont moi, s'étaient déjà procuré la passe hebdomadaire à 25,75$. Comme j'ai à me déplacer 4 fois durant la semaine pour le travail (mardi, mercredi, samedi et dimanche), j'ai finalement déboursé 25,75$ pour quelque chose qui, avec les 2 journées de gratuité, aurait normalement dû me revenir à 12$. Si j'avais pu prévoir à l'avance, j'aurais plutôt opté pour des passages uniques et je n'aurais pas eu l'impression de m'être fait avoir de 13,75$.

Familles: 1 | Montréalais écoresponsables: 0

Pour ajouter à la frustration, les escaliers roulants de ma station avaient été, une fois de plus, mis hors fonction, dimanche, en fin de soirée. On m'explique chaque fois que c'est parce qu'il y avait moins d'achalandage vers ces heures, donc, les employés se permettent de procéder tranquillement à la fermeture de la station en se câlissant bien entendu des dizaines de personnes (vieilles, handicapées, aux prises avec des problèmes cardiaques) qui reviennent d'un bar ou du boulot à la fermeture des métros. Quelle mauvaise manie. En début de mois, une employée était tellement pressée de quitter qu'elle est partie en nous embarrant pendant 45 minutes dans la station. Impossible d'en sortir.

Mais hey, rien de cela n'arriverait jamais si j'étais une famille et que je vivais sur le même fuseau horaire que les familles. Right?

Oui, c'est fâchant qu'on accommode les familles comme ça. Qu'elles finissent toujours par l'emporter sur tous ceux qui ont fait le choix d'embrasser la montréalité en solitaire et de prioriser intelligemment le transport collectif sur une base quotidienne.

Et puis, il y a ces événements et ces initiatives spécifiquement conçus pour la famille qui se succèdent et monopolisent de plus en plus le lieu public. It's everywhere. On veut que les familles se sentent chez elles, qu'elles se sentent bien. Qu'elles ne migrent pas massivement vers les banlieues. Plutôt que de s'adapter à l'environnement hôte, c'est Montréal qui finit par se banlieusardiser peu à peu. J'ai souvent l'impression de me réveiller au beau milieu d'une freaking banlieue.

Quand Montréal décide de relâcher ses familles dans les rues, les codes rudimentaires de partage et de bien-vivre ensemble prennent le bord assez brutalement. Elles s'en exemptent. Elles marchent lentement et dans tous les sens. Plus personne n'est aware de l'espace qu'il occupe. Le souci de l'autre n'est plus. La circulation devient pénible, voire, improbable. Si on se concentre juste assez, il nous est possible d'arriver à déceler à l'oeil nu l'habitacle imperceptible qui enrobe les familles et les isole du reste du monde. Chacune se promène à bord d'une voiture invisible sur les trottoirs et n'a de compte à rendre à personne. Chacun pour soi. Ce qui compte, maintenant, c'est de passer du bon temps entre nous sans avoir à nous soucier de ce qui se passe autour.

On m'a déjà dit : attends d'avoir des enfants !

Oui. Bien sûr. Quand j'aurai des enfants (jamais.), je dérogerai légèrement des codes que je me suis fixés. Peut-être que je parle un tout petit peu à travers mon chapeau, je n'écarte pas cela. Je suis bien conscient qu'un enfant est imprévisible et que sa poussette meuble beaucoup d'espace. Je garde ça en tête et je demeure indulgent. Au même titre que je garde en tête que mon immense parapluie peut interférer dans la bulle personnelle des passants si je manque de vigilance. Même chose pour le panier d'épicerie.

Je reste aware de mon environnement même quand je circule dans les rues avec des amis. Je suis toujours le gars un peu lourd qui doit rappeler aux autres que le trottoir ne nous appartient pas et que des gens derrière nous veulent passer. Je trouve important de respecter ça et de ne pas m'abandonner dans la nonchalance une fois que je me retrouve, à mon tour, « en famille ». Je ne voudrais surtout pas être ce gros crisse d'égoïste que je méprise tellement quand je déambule en solo.

Mais ça, tu vois, les familles s'en câlissent. Elles débarquent et viennent bousiller tous les efforts déployés par les everyday marcheurs qui s'emploient à appliquer rigoureusement ces codes pourtant essentiels au bon déroulement de la circulation SURTOUT en métropole. THEY JUST DON'T CARE. Elles sont seules au monde et c'est la seule chose qui importe. Même pas un petit coup d'oeil dans l'angle mort pour vérifier si, par hasard, elles ne seraient pas en train d'obstruer le passage d'un shitload de passants derrière.

Je fais mon épicerie le soir, maintenant. Les gens sont plus courtois. Les familles dorment ou sont rentrées. Je reconnais chez les marcheurs du soir cette volonté de contribuer au bon fonctionnement de la circulation. Tout le monde se fait tout petit et prend soin des autres. Les couples, lorsque confrontés à un espace plus étroit, marchent à la « file indienne ». Il y a quelque chose de réconfortant dans le fait de se promener en soirée. On le « sait », c'est dans l'air. Il y a une espèce de complicité tacite. Un retour à la civilité. Montréal met au placard son uniforme de banlieusard et redevient Montréal. Les gens font preuve de beaucoup d'empathie.

J'ai le sentiment qu'une fois que les gens fondent une famille, ils finissent, petit à petit, par perdre un peu tout cela.

Plus de contenu