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Le Détesteur: je suis concierge et mes clients adeptes de junk food sont les pires
Crédit: Murphy Cooper

Être concierge est mon métier. Un métier que j'adore. Un métier de poète. Passer la vadrouille, seul, dans un immeuble à bureaux dénué de gens, la nuit, je choisirai ça, toujours, bien avant d'accepter d'aller me faire chier avec un patron instable et passif-agressif. La culture d'entreprise, ce n'est pas pour moi. Alors des toilettes pleines de marde… vraiment pas un problème. Je te lave ça quand tu veux.

Je n'écris pas ce texte pour me plaindre, autrement, j'enverrais des CVs pour travailler en agence. Un simple constat que j'avais envie de partager avec vous. Après, vous en ferez bien ce que vous voudrez.

Je suis concierge pour des entreprises, et comme l'évoque le titre, mes pires clients sont ceux qui s'entêtent à ne commander nulle part ailleurs que dans les chaînes de restauration rapide.

Il y a des clients chez qui je peux évaluer à l'avance si j'aurai le temps ou non d'attraper le dernier métro après mon shift. Rarement de mauvaises surprises ne m'attendent ou ne risquent de retarder mon départ d'une bonne grosse heure ou deux. Remarque, les imprévus et les dégâts font partie de ma job. Again, je ne m'en plains pas. C'est mon travail. Aucun souci.

Ces clients sont généralement propres. Même si je n'en demande pas autant. Décrotter, c'est mon boulot. Pas le leur. Disons plutôt qu'ils sont aware qu'un humain passera en soirée pour rendre propre l'environnement dans lequel ils évoluent pendant la semaine. Ceux-là amènent leur propre lunch, préalablement préparé la veille. Ils mangent végane. Ils traînent avec eux une gourde qu'ils remplissent à volonté dans le distributeur d'eau. Encore ici, c'est un constat. Pas une préférence de concierge qui serait capricieux. Mais mettons que je ne m'indignerai pas de ces petites attentions qui font que je me sens respecté.

Et puis, il y a ceux qui mangent du McDo. Chez eux, c'est une quasi certitude que je rate le dernier métro, que je dois rentrer en taxi, marcher jusqu'à la station bixi la plus près, ou encore, passer la nuit là. Les mauvaises surprises sont récurrentes, immanquables.

Par exemple, il me faut faire le tri dans les bacs à recyclage dans lesquels on aurait lancé un vieux restant de poutine ou une salade. L'inverse est aussi vrai : des papiers sont souvent jetés aux ordures.

Je dois prévoir qu'à peu près tous les sacs de poubelles dégoulineront de boisson gazeuse, de jus, de sauce ou de café et qu'il me faudra repasser avec la mope sur le chemin qui mène jusqu'au trottoir où je suis allé déposer les ordures. C'est pourtant un fait bien connu de tout adulte autonome ayant déjà signé un bail : pas de liquide dans les poubelles.

Une seule journée suffit pour que les corbeilles débordent et que de la bouffe, de l'ossature de poulet, des miettes, des confettis de papier poinçonné, des kleenex, des paquets de cigarettes, et des breuvages se retrouvent sur le plancher. Blame it on la multitude de boîtes qui s'empilent, d'emballages, de contenants, de bouteilles, de verres et de berlingots qui proviennent de diverses chaînes de restauration.

D'ordinaire, un époussetage expéditif devrait faire l'affaire. Mais chez le client qui se gave quotidiennement de poutine, chaque surface de bureau demande un soin particulier. Taches de café, de sauce, de gras, du caramel sur le tapis de souris, de vieux mouchoirs usés, du café moulu, du sel et du poivre. De la crème glacée fondue/séchée, des popcycles et du chocolat.

Chez les clients qui ne consomment rien d'autre que du fast food, les toilettes sont sans cesse bouchées. Abus de papier hygiénique. Papier brun — même si fortement déconseillé —, et objets non identifiés sont flushés. Les toilettes sont également constamment brisées : personne ne fait attention. Les gens sont rudes et/ou s'en câlissent.

Au début, je n'avais pas encore réalisé. Je fais mon travail et puis c'est tout. Ce n'est qu'au gré du roulement des employés que ça m'a finalement fouetté, que je me suis mis à appréhender l'espace de travail des nouveaux employés qui ont l'habitude de commander de la junk. Quand je me rends chez eux, je me conditionne à l'idée que je ne pourrai peut-être pas rejoindre mon lit d'ici le lever du soleil. J'évite de prendre des rendez-vous que je ne saurais honorer le matin qui suit. Impensable.

Avec eux, c'est juste différent. Il y a une nonchalance déconcertante qui frise l'arrogance, un non-respect de l'environnement (nourriture et breuvage dans le bac à recyclage) ainsi qu'un sérieux manque de considération pour l'humain qui passera derrière eux en soirée.

Mais je n'en veux à personne. J'ai probablement déjà été un peu ces gens, moi aussi. Malgré moi. Personne n'est rémunéré ni formé pour stresser avec ces choses-là. C'est pour cette raison qu'on engage un concierge et c'est bien correct. C'est mon truc. Tu salis, je lave.

N'empêche, en pratiquant mon métier de concierge, j'ai enfin pu comprendre pourquoi dans ma vie je n'arrivais pas à connecter avec les consommateurs de junk, pourquoi je les ai souvent sentis hostiles à mon égard. C'est que pour plusieurs, il semblerait que ce soit bien plus qu'un simple lunch peu coûteux; c'est un mode de vie, un état d'esprit. C'est l'abandon. Un doigt d'honneur à l'ordre établi. Une manière d'afficher : moi je reste comme je suis, je suis bien comme ça. Une résistance face à ceux qui espèrent le progrès, le changement. Un mépris naturel des premiers adeptes de yoga, de santé, de véganisme, d'enjeux sociaux et politiques, de littérature et de théâtre. Un dégoût de l'élite, des privilégiés qui font de ces causes LEURS causes, qui en font une identité, un branding qui leur est propre.

Je dois lutter chaque jour pour me rappeler que je suis l'exception. Que mon végétarisme et mes belles valeurs progressistes ne me viennent pas d'une volonté d'être à la mode après que La Presse + ait révélé son guide pour devenir le parfait petit bourgeois blanc qui brille dans les 5 à 7. Que moi aussi je viens d'un milieu précaire et, avec un peu de recul, je réalise que je me sens bien plus près des dépendants au McDo que des bobos qui s'assurent de parler très fort dans les cafés quand ils abordent le dernier sujet traité à Medium Large ce matin-là.

Je comprends mieux. J'accepte mieux qu'on veuille me crucifier sur la place publique quand j'opte pour le combo végé-pâté et Latté à 4,50$ plutôt que le trio Big Mac. C'est qu'on me prend pour quelqu'un d'autre. Et il s'avère que ce quelqu'un d'autre, moi aussi je le méprise. 

Il me fera plaisir de passer la nuit à décrotter ton bureau taché de sauce piquante.

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