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Le Détesteur: pourquoi je refuse de réussir dans un showbiz trop blanc
Crédit: Murphy Cooper

Adolescent, je me voyais faire de la télé plus tard. Mais il y a un moment déjà, voire une décennie, que je n'ai plus l'intention de réussir dans le domaine du showbiz. C'est même l'inverse que je souhaite. Je fonce dans les aléas des communications en mode autodestruction. Je me place au beau milieu de la foule et je demande à être rué de coups de pied et poing en espérant m'en prendre plein la gueule.

Je me mets un shitload de personnes clés à dos et je regarde les portes, une à une, se fermer à quelques centimètres de mon nez. Ça m'arrange. Ces portes ne m'intéressent plus. Rien à fiche, je suis concierge et je n'aspire plus à rien, ne suis plus contraint à faire attention de ne pas déplaire à qui que ce soit pouvant me permettre d'aller plus loin. Je ne veux plus m'y rendre.

Il y a un moment que je ne veux plus réussir dans ce contexte spécifique où les blancs n'ont qu'à faire exactement ce qu'on attend d'eux pour que la réussite soit systématiquement dans la poche, tandis que les noirs, par exemple, sont constamment relégués au banc. Trop facile. Pas assez challengeant.

Je me dis : comment peut-on encore se trouver bon et pertinent dans ces conditions? Quand tout le monde semble être un animateur/chroniqueur avec peu de substance et tristement interchangeable?

Anime un show réalité par-ci, s'improvise chroniqueur bouffe pour une émission estivale par-là. Les blancs sautent sur toutes les opportunités qui passent. Plus on les voit, meilleurs ils se sentent.

Le plus malheureux, c'est qu'on ne remplace pas la vieille garde par de jeunes fougueux remplis d'audace, mais bien par de futurs jeunes-vieux parfumés qui suivent les pas des Mario Tessier et Véro Cloutier. Au lieu de se surpasser afin de ne pas être remplacée par une jeunesse pluridisciplinaire, la vieille garde s'abonne au gym, suit des régimes alimentaires stricts et se recycle dans la popotte et le design intérieur.

Les blancs franco-queb passent leur temps à errer dans les couloirs du showbiz mais n'ont pas vraiment d'objectif précis en tête, outre les tapis rouges. On ne leur connaît pas d'identité spécifique et la démographie de leurs crowds est d'une malléabilité à occasionner des reflux gastriques. Prennent ce qui passe. Mais qui cherchent-ils à rejoindre exactement? Un peu tout le monde? Le plus de gens possible? N'importe qui, n'importe comment?

J'évolue dans ce domaine depuis un bon bout déjà. Les blancs autour de moi n'ont pas trop de mal à remplir les visées de vedettariat qu'ils s'étaient au départ fixées. Télévision, radio, magazine, humour. Zéro prob. C'est tellement à la portée que ça ne donne pas forcément envie de relever le « défi ». C'est comme si le mot d'ordre était : prends pas de risque, serre des mains, n'arrête jamais de sourire, et t'arriveras à tes fins assez rapidement.

Tellement facile qu'on vient à se demander comment tout ce monde arrive à se contenter d'aussi peu de challenge. J'entends sans cesse des plaignards de 21 ans nous pleurnicher que la route a été longue et chargée en tumultes alors qu'ils n'ont fait que suivre sans déroger un itinéraire au préalable tracé jusqu'à la ligne d'arrivée. Laisse-moi freaking rire. 

Oh, mais ils bûchent fort mes collègues blancs. J'en conviens. Mais bûcher fort avec la promesse presque assurée de réussite et une place chaude réservée au sommet n'est pas tout à fait la même histoire que bûcher fort sans la certitude d'être un jour rappelé. Un but commun, deux trajectoires distinctes.

Comment expliquer que des gens qui, initialement, laissaient présager un décâlissage en règle des coutumes vétustes d'un showbiz suranné ont pu s'assouplir/s'acclimater aussi aisément et sans la moindre lueur de honte? C'est que l'écosystème actuel n'exige pas de ses personnalités qu'elles se renouvellent, qu'elles se mettent en constant danger. On demande plutôt à ce qu'elles se conservent jeunes, belles et souriantes. Qu'elles revêtissent le template du succès blanc. Qu'elles ne bousculent pas trop les moeurs des bonnes gens à la maison.

Alors que, inversement, nos communautés culturelles symbolisent ce « risque » et cette « fraîcheur ». Leur route étant aussi ardue qu'incertaine, elles ne se donnent pas tout ce mal pour finalement, une fois au sommet, accepter de se soumettre sans réserve aux exigences matantesques et aseptisantes que les blancs embrassent pourtant sans ronchonner. Des attentes qui, au final, n'arrangent que les blancs.

Let's just be honest : seriez-vous capables d'imaginer une Rebecca Makonnen en matante? Un Philippe Fehmiu en mononcle? Sérieusement? Ils sont les fans des premières heures des Kaytranada, Alaclair, LLA et Dead Obies. Ils ont un intérêt marqué pour leur propre culture, celle des autres, et bien entendu, la nôtre (qui est également la leur). Leur ouverture à l'autre les amène sans cesse à se renouveler et ne pas se complaire dans une médiocrité continue qui garantit la pérennité. Tandis que les blancs, quant à eux, se referment sur eux-mêmes et se contentent d'aussi piètres réussites, d'aussi peu de diversité.

Les discussions reviennent à la surface tous les trois mois, mais pourtant, rien ne laisse croire à une envie véritable de changement. On se complaît entre blancs. Tout est mononcle, tout est matante. Tout est monolithique, tout est médiocre. Les noirs dans nos téléséries sont des criminels. Des vendeurs de drogue. Des policiers aux gros bras. Des brutes. Tandis qu'à la barre des talk shows, on les sélectionne sans accent.

Le week-end dernier, le Lavallois d'origine haïtienne High Klassified signait une production MAJEURE sur le dernier opus du rappeur (du moment) Future. Et pas sur n'importe lequel des singles : celui où The Weeknd appose également sa voix. C'est immense. Ç'aurait dû être sur toutes les lèvres, sur toutes les chaînes. Mais rien. On a préféré partager les photos en bikini d'Eugénie Bouchard et, ironiquement du même souffle, passer sous silence qu'elle partageait cette édition Swimsuit 2017 du Sports Illustrated avec des athlètes noires comme Simone Biles et Serena Williams.

Aux USA, Chelsea Handler se roule un joint et se défonce la face avec Wiz Khalifa tandis qu'Ellen ouvre ses portes aux Migos et Rae Sremmurd. Ici, on déchire sa chemise parce que Safia n'arbore pas la bonne tenue de gala et Mariana Mazza présente son doigt à Mike Ward. 

Parlant de ces deux-là : j'ai demandé récemment à ma mère et grand-mère qui étaient leurs préférés dans notre petite télé québécoise. Elles m'ont répondu respectivement Safia Nolin et Mariana Mazza. J'ai fait le saut. Les choses changent. Ma grand-mère de 80 ans adore Mariana Mazza. Elles se disent désormais ennuyées par les mêmes visages, par ceux qui échappent sans faute au risque. N'ont plus grand chose à fiche des Marie-Eve Janvier et des Marc Dupré. Elles veulent du danger, de la tumulte. Pas des vedettes qui s'aiment un peu trop et se tapent un karaoké en plein air dans le Vieux-Port. 

Bien sûr, c'est anecdotique. Il s'agit de ma famille. Mais si ma grand-mère octogénaire est prête pour Mariana et la désinvolture de Safia, pourquoi continue-t-on à leur offrir des personnalités vides, indolentes et dépouillées de richesse qui s'agrippent à leur succès sans la moindre volonté de se renouveler? 

Ce que j'exprime ici n'est pas du white guilt. C'est du dégoût. Un refus de réussir dans un environnement pauvre en diversité où tout est favorable à ma propre ascension sans même que je n'aie à proposer du risque et de la nouveauté. Où les sourires factices de l'ennuyante blancheur sont préconisés. Aucun challenge. Pas de compétition. Rien que du blanc average qui se tire vers le haut et garde à l'écart ceux qui auraient le potentiel de tout bouleverser pour le mieux. 

Alors si un jour je devais « réussir », au moins je pourrai me targuer que ma route n'aura pas été aussi simple que celle de mes biens paresseux collègues blancs. Je ne me serai pas contenté de médiocrité et d'avoir serré les bonnes mains tout en sachant que les amis de diverses communautés sont constamment snobés. 

Si eux s'intéressent à nous, l'inverse n'est pas forcément vrai. On s'en lave les mains. Quelqu'un a-t-il même entendu parler du phénomène montréalais Enima? Non, han? Et Kaytranada? Ç'a pris combien d'années avant qu'on s'intéresse à Kaytranada? 

Je dis : on a pas mal fait le tour des visages blancs. Donnez-moi plus de Richardson Zéphir, de Makonnen, de Fehmiu et de Mazza.

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