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Le Détesteur: « on peut-tu juste s’aimer?? »
Crédit: Murphy Cooper

J'ai horreur des gens qui s'accrochent aux certitudes. Ils ne s’en tiennent qu’à leurs propres repères, ce qu’ils connaissent ou croient connaître, et rejettent en bloc les idées qui leur paraissent risibles/improbables sans jamais même laisser entrevoir la moindre trace d’ouverture. L’assurance avec laquelle ils s’imposent leur donne momentanément raison et fait paraître du coup leurs interlocuteurs, vigilants, pour des gens mal préparés qui n’ont pas fait un travail de recherche adéquat.

Tout ça n’est que provisoire. Le temps se charge bien souvent de donner tort aux « certains » qui, comme si de rien n’était, et sans même que l’on puisse leur faire admettre qu’ils s’étaient trompés, finiront par adopter les idées qu’ils ont initialement moquées.

Ça peut être anodin. Exemple : on a tous déjà présenté à un ami un band obscur en lui promettant que c’était le next big thing. L’ami hausse les épaules et fait entendre son désaccord. « Ça suck ». Un an plus tard, l’ami te revient avec l’enthousiasme d’un chien à qui on ouvre la porte patio pour te faire les louanges d’un band qu’il vient de « découvrir ». Le tien. Celui que tu lui as, TOI, fait découvrir et qui présumément « suck ».

C’est fâchant. Anodin, mais fâchant. Parce que tu savais. T’aurais aimé qu’il reconnaisse au moins qu’il avait mal vu. Mais non, trop orgueilleux. Le cas est anodin, oui, mais il laisse malgré tout des traces. Tu ne te sens pas écouté ni considéré.

Prenons maintenant pour exemple la culture du viol. L’automne dernier, plus personne ne pouvait la nier. Elle existe, un point c’est tout. Plusieurs hommes se sont rangés derrière les femmes. C’était beau. Pourtant, pas moins d’une année avant, on s’arrachait encore les cheveux rien qu’à entendre « culture du viol ». Les gars se montraient jusqu’à dernièrement rudement sceptiques et méfiants.

Puis, BANG, une énième vague d’allégations prend d’assaut l’espace public et on décide d’y croire. Enfin. Comme si on n’avait plus le choix. Comme si on avait fini par céder à la pression populaire.

C’est vrai, pourquoi adhérer maintenant et pas de 2012 à 2016? Pourquoi avoir attendu tout ce temps? Pourquoi maintenant, une fois que l’idée est hyper répandue, hyper médiatisée et hyper prise au sérieux? Pourquoi toujours attendre que ça devienne trop gros et supra-mainstream pour adhérer? Pourquoi toujours attendre après les drames pour que le déclic se fasse?

On ne se plaindra certainement pas du résultat. Tant mieux si tout le monde se réveille. Mais on n’a jamais l’impression que tout ce monde-là se réveille parce qu’il a écouté, mais bien plus parce qu’il n’avait plus trop le choix. Ce même monde qu’on trouve sans cesse sur notre chemin pour crisser des bâtons dans les roues du progrès quand ça évolue trop vite pour lui.

Même histoire pour l’attentat de Ste-Foy. On aimerait ça des fois que les gens tirent des leçons. Qu’ils mettent de côté leur arrogance et leurs certitudes un peu. Qu’ils en profitent pour réaliser qu’ils s’étaient peut-être trompés. Qu’ils n’ont pas écouté. Qu’ils n’écoutent jamais. Qu’ils ne considèrent jamais. Qu’ils ne s’en tiennent à ce qu’ils croient connaître.

Puis, BANG, attentat terroriste, on change le fusil d’épaule. Maintenant on croit. Maintenant on comprend. On se mobilise. Comme si de rien n’était. Comme si personne n’avait tenté de discuter avec nous auparavant. Comme si, la veille, nous n’étions pas encore hostiles à l’endroit des musulmans. 

Mais c’est bon. Tout le monde est là. Tout le monde est humain, tout le monde s’aime. On ne peut négliger ceci. Mais ça serait bien si, parfois, les opprimés pouvaient se sentir écoutés pour vrai. Pas parce qu’une tragédie a fait sortir les gens de leurs confortables maisons. Mais parce qu’ils se donnent la peine d’écouter et considérer. 

C’est fâchant. 

L’oppresseur est bin bon pour récupérer le message des opprimés et faire comme s’il n’avait rien à se reprocher. Peut-être devrait-il apprendre à reconnaître ses torts? On manque cruellement de mea culpa. 

J’ai vu beaucoup de privilégiés brandir le slogan « ON PEUT-TU JUSTE S’AIMER? » dans la dernière semaine. Facile. Bien sûr qu’on pourrait « juste s’aimer », ce serait tellement plus simple comme ça. Facile quand tu n’es pas celui dont la voix est sans cesse étouffée. Apprenons à discuter. Après on pensera à « juste s’aimer ». 

D’ici là, ne nous laissez plus l’opportunité de scander « I TOLD YOU SO ». Écoutez donc, à la place.