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Le Détesteur: notion de privilège ultra-simplifiée pour homme blanc borné
Crédit: Murphy Cooper

Imagine. T'es dans un 5 à 7, t'as quelques verres dans le nez et t'as le PR assez lousse. T'es loud. Tu jases avec tes collègues et leurs amis. Tu tombes sur un dude qui affirme être dentiste pis là tu te mets à lui jaser de traitement de canal comme si tu jasais de la dernière game du CH. Tu lui parles de clou de girofle pis de seringue qu'on enfonce dans la gencive pour engourdir partiellement la bouche. L'opération t'apparaît légèrement ardue, mais tsé, pas si ardue que ça quand même. Un coup de drill ici, du grattage de racine juste en bas. Un peu de pratique et pis voilà. Facile comme ça. Prend pas la tête à Papineau.

Le gars est découragé. Il te laisse t'enliser encore un moment. Mais disons-le, quelle patience, quand même. Il est là à t'écouter simplifier éhontément les opérations qu'il mène à bien quotidiennement. À t'entendre sous-estimer ses compétences et dévaloriser sa profession.

Bon, ça y'est. Il t'interrompt finalement. Tu parles à travers ton esti de chapeau, qu'il te fait savoir. C'est pas aussi simple que tu le prétends. En fait, tu sais juste pas. Tu sais rien. Et là, attention, il va finir par le dire. Il le dit. Là. Prépare-toi, c'est pas évident à entendre : t'es pas dentiste. IL L'A DIT. T'ES PAS DENTISTE.

T'es électricien. Pas dentiste.

Quel con insolent, que tu te dis ! Vraiment, c'était pas nécessaire de préciser que je suis électricien et pas dentiste. Trop facile. Invalider tout ce que je viens de dire sous prétexte que je ne suis pas dentiste. Je veux bien croire qu'il possède un ou des diplôme-s, mais je ne vois pas en quoi ça m'empêche de parler de traitement de canal. 

Tu rentres chez toi et t'en reviens toujours pas. Tu décides de tâter le pouls du côté de tes amis électriciens sur Facebook. T'en fais un statut:

« Ouin bin ça l'air que les électriciens peuvent pu rien dire, han. On est des esti de pourritures sous-éduquées qui peuvent pas parler de traitement de canal sans se faire pointer qu'on n'est pas dentistes… ».

Bin voyons donc! Qui a dit ça?!?, s'enquiert un ami qui, sans attendre, partage déjà ta frustration. Les dentistes. C'est ce qu'ils pensent de nous, apparemment!, que tu lui réponds. Les électriciens, tous des épais! N'importe quoi…

C'est certain que, présenté comme ça, on n'a pas spontanément envie de se lier d'amitié avec un dentiste.

Au bout de quelques heures, tu constates avec enthousiasme que ta publication a généré quelque 1 500 likes, 538 partages et une quantité non négligeable d'appuis. T'es pas fou, câlisse. Ça n'a aucun sens qu'on cherche à interdire aux électriciens d'avoir une opinion sur les soins dentaires. C'est du dentisme. Les électriciens ne sont pas plus caves que les dentistes. Au moins maintenant, tu sais que les électriciens sont derrière toi.

Ah pis tiens, tant qu'à mobiliser tous ces gens, pourquoi ne pas lancer une page Facebook en appui aux électriciens non-dentistes qui revendiquent leur droit de pratiquer le traitement de canal sans formation. Ça suffit, là. T'es tanné qu'on dépeigne les électriciens comme d'horribles monstres à l'origine de tous les maux sur la planète.

Ç'a escaladé rapidement, non? Tu ne trouves pas que l'électricien en a fait toute une histoire pour rien du tout? Le dentiste n'a jamais dit pourtant qu'un électricien ne pouvait pas jaser denturologie; seulement, il a fait comprendre à notre ami électricien qu'il était assez évident qu'il parlait à travers son chapeau et qu'il aurait nettement avantage à reconnaître ses limites. C'est tout. Il n'a rien contre les électriciens. Rien. Si ça se trouve, il les aime bien, tiens.

C'est juste que, quand quelqu'un, avec toute l'assurance de l'univers, se met à raconter n'importe quoi au sujet de sa profession; il n'hésite pas à lui communiquer son inconfort. Ça va de soi. Je suis certain que t'es d'accord avec moi. Le dentiste connaît clairement mieux son shit que l'électricien. Et l'électricien, dans cette histoire, est un parfait crétin alarmiste qui s'invente des problèmes.

Je suis sûr que tu comprends aussi que certaines situations exigent qu'on donne le bénéfice à l'interlocuteur quand il a les deux pieds dedans. Qu'on prenne un peu de recul et qu'on le laisse parler de ce qu'il connaît clairement mieux que nous. Et surtout, qu'on n’aille pas s'imaginer qu'il tente de nous censurer.

Tu vois. C'est pas compliqué. Tu viens d'assimiler la notion de privilège. C'est juste ça. Vraiment juste ça. C'est l'électricien borné qui s'obstine à ne pas vouloir reconnaître que le traitement de canal n'entre pas dans son champ d'expertise et qui saute sur l'occasion pour en faire un combat personnel en déformant malhonnêtement l'intention initiale de son interlocuteur pourtant bien intentionné.

La notion de privilège ne vise pas à nous disqualifier et encore moins à nous rendre d'abjects personnages. C'est un post-it qui flotte au-dessus de nos têtes au cas où on oublierait que, oui, parfois, il se peut qu'on parle à travers notre chapeau. Qu'on ne sache pas tout à fait comment c'est de vivre dans le corps et la tête d'une femme, d'une personne racisée, obèse, défavorisée et/ou handicapée.

Quand je te vois pleurnicher sur les médias sociaux, je constate que tu mens souvent. Tu falsifies la réalité. Pareil que l'électricien. Je peux lire tous les jours que Murphy Cooper n'aime pas les blancs (lol). Que Judith Lussier et les féministes n'aiment pas les hommes. Et quand je te demande d'amener un extrait qui pourrait laisser entendre de façon limpide de pareilles énormités, t'en es curieusement incapable. T'es pas honnête avec toi-même.

C'est comme si ça t'arrangeait tellement de jouer les victimes que t'es prêt à entretenir un immense mensonge et passer pour l'idiot qui fait semblant de ne pas comprendre. Alors que tout ce qu'on te dit, c'est que tu devrais te poser la question « suis-je vraiment en mesure de comprendre? » plus souvent.

Non, l'homme blanc n'est pas un monstre. Personne n'a dit ça. Personne ne l'a sous-entendu. Personne ne le pense. T'as rien pour le prouver. Rien. C'est pas fondé. Parce que tout ça, c'est dans ta tête de belliqueux qui aime s'imaginer qu'il est en guerre.

L'électricien, c'est toi. Tu t'accroches au traitement de canal pour te permettre une raison de lutter. Une cause. Et ta cause, c'est te faire la victime collatérale de celle des autres. À défaut d'en avoir une.