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Le Détesteur: lettre à mes amis homophobes, sexistes et xénophobes
Crédit: Audrey Szigeti

Cher xénophobe, sexiste ou homophobe. C’est sans hostilité que je t’adresse aujourd’hui ces mots.

J’ai pleuré beaucoup dans la dernière année. Parce que, plus le temps file, plus je prends conscience que je m’éloigne de toi. Je t’ai peut-être déjà côtoyé, aimé, peut-être que je t’aime, inconditionnellement ou non. Mais ravise-toi, c’est pas toi, c’est moi. C’est moi qui ai changé. Toi, t’as pas changé du tout.

Quand tu ne nous sors pas encore tes bonnes vieilles blagues homophobes, tu te permets d’être raciste sous prétexte « qu’on est entre blancs », comme si tous les blancs se voulaient intrinsèquement confortables avec les moqueries racistes. Tu qualifies les femmes de salopes quand t’apprends qu’elles jonglent avec de multiples partenaires simultanément. Tu entretiens une haine assez gênante et maladive des musulmans.

Et moi pendant ce temps, bin… je cohabite avec une Haïtienne depuis les neuf dernières années. Mes voisins sont Japonais, Italiens, Arabes, homosexuels et trans. Dans le métro, mes oreilles absorbent des dizaines de langues dont les mots me sont entièrement étrangers. J’accepte que le restaurateur du coin, fraîchement installé au Canada, me serve en anglais en attendant qu’il assimile notre langue première. Mes amies sont féministes.

J’adore ma vie ici, mais je vais te dire quelque chose d’horrible. Il me manque un truc : toi. Tu es tout ce que j’ai connu durant une majeure et cruciale partie de mon existence. Tu es un babyboomer, un ami du secondaire ou d’enfance, un oncle, une tante, une ex-voisine. T’as été là dès ma naissance, t’as grandi en même temps que moi. Tu m’offrais des cadeaux à Noël. T’as bu ta première bière avec moi. T’as été mon premier kick. Tu veillais sur moi quand mes parents n’étaient pas à la maison.

Mes repères culturels et temporels, c’est toi. Mes souvenirs, c’est toi. Les 20 premières années de ma vie, c’est toi. Mais récemment, il y a ce processus qui s’est enclenché chez moi. Lentement mais sûrement, je fais le deuil de toi. Je fais le deuil précoce de mes repères. De ma vie avant la métropole. Il ne faut pas, pourtant. Mes repères sont essentiels à mon équilibre mental. Je t’en veux tellement de laisser les choses aller comme ça. De me regarder passer l’efface sur la genèse de ma vie sans intervenir.

Quand je te traite d’esti de raciste sale, d’homophobe nauséabond pis de crisse de misogyne, au fond, c’est un cri du cœur. Je t’implore de faire quelque chose. De ne pas m’abandonner ici. D’arrêter de faire comme si c’était moi qui étais dans le tort de ne pas être raciste, homophobe et sexiste.

Dès que je te fais part de mon inconfort avec tes vieilles railleries à caractère homophobe, je deviens à tes yeux le petit crisse de Montréalais gauchiste et branchouillard. Le pincé. L’outrecuidant qui s’élève au-dessus de la mêlée. Comme si Montréal changeait les gens pour le pire. Comme si s’opposer aux systèmes d’oppression était typiquement montréalais. Comme si ne pas haïr les gais était une exclusivité montréalaise, une tare propre aux gens d’ici.

Il y a cet ancien voisin que tu connais peut-être qui est décédé récemment. Enfant, je l’aimais tellement ce voisin-là. Mais lui n’aimait pas les noirs ni les homosexuels et on le reconnaissait à son légendaire machisme. Je ne réalisais pas, à l’époque. Quand j’ai appris pour sa mort, j’ai pleuré. Puis j’ai serré les poings. Cet homme m’a regardé grandir et il est décédé, comme ça, avant même que je puisse faire la paix avec lui. Avec ce qu’il était. Avant même que je puisse lui dire combien je lui en voulais de ne pas aimer les noirs et les homosexuels.

Tranquillement, je m’éloigne des gens comme lui. Des gens comme toi. Que j’ai pourtant aimés. Et puis un jour, ils meurent. Et je leur en veux. Je dois apprendre à faire la paix. Mais je les déteste de ne pas avoir voulu faire l’effort. Je les déteste de s’être référés à ma copine en ayant recours au mot « négresse », par exemple.

Je t’écris ceci installé à une table chez Dunkin Donuts, et autour de moi, des personnes âgées, des Claude et des Renée avec le gros accent verdunois, qui roulent encore leurs « R ». La plupart des rouleurs de « R » que j’ai connus sont morts depuis longtemps. Alors, quand j’en croise, j’en profite. Les tout derniers. Après, c’est fini. Plus jamais de rouleurs de « R ». Je contemple leur rare présence.

Quand tous ces gens seront partis et que tous les babyboomers reposeront au cimetière, j’aurai alors perdu une imposante partie de mes repères. Cette pensée me hante. Je serai vieux. Et quand j’observe comment les gens de mon âge vieillissent en mononcles et en matantes, ça m’effraie. Que me restera-t-il de ma vie d’avant ?

Le fossé entre toi et moi ne cesse de se creuser. Je m’épanouis dans la diversité et toi dans le confort de ta blanche banlieue. Je m’identifie mieux à la jeunesse actuelle pour les idées que nous partageons, son ouverture, ses luttes et sa volonté de comprendre l’autre. De ton côté, tu t’enlises dans la peur et l’insignifiance. T’es dangereusement orgueilleux et tu t’en crisses que ton comportement puisse m’affecter. 

J’aimerais tellement qu’on arrive à se rejoindre, que tu ne meures pas avant que j’aie pu faire la paix avec toi. Ne me laisse donc pas faire le deuil de ma vie avant Montréal. Le deuil de toi.