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Le Détesteur: «ça paye-tu au moins ce que tu fais sur Internet?» ou fuck les influenceurs
Crédit: Audrey Szigeti

Je suis parfois sollicité pour faire du placement de produit avec mes comptes Facebook, Snapchat et/ou Instagram. Spontanément, je refuse. Chaque fois. Ceci étant dit, de l'argent demeure de l'argent et un loyer à payer est un loyer à payer. Il ne serait pas honnête de prétendre que je ne renouvelle pas sans cesse la question dans ma tête lorsqu'une opportunité affriolante, disons-le, s'offre à moi, même si, ultimement, je sais que la réponse sera non.

Mon truc. Je me demande si les vieux amis du secondaire seraient fiers de moi. Est-ce que ça les impressionnerait de savoir que ma notoriété me permettrait, notamment, d'être rémunéré en échange de visibilité et de quelques likes? Ce qui plaît aux vieux amis se tient généralement à l'opposé de tout ce qui devrait normalement me plaire.  Si la réponse est oui, ma décision, bien mûre, alors sera: je ne retournerai définitivement pas l'appel.

C'est vrai, quoi. La seule chose qui n'ait jamais véritablement compté pour eux, ce sont les résultats. «Ça paye-tu au moins ça?», «Quand est-ce qu'on va te voir à la télé?» ou «On va-tu pouvoir te lire dans le Journal de Montréal un jour?». Faire affaire avec de grandes marques fait partie des choses qui rendent bin fiers la famille et les gens qui sont restés coincés dans le village natal.

D’ailleurs, la plupart assument que je gagne ma vie avec des publications commanditées et que je reçois un shitload d’échantillons gratuits chaque semaine dans ma boite aux lettres. Et déjà, à l’adolescence, assumaient que je deviendrais un jour très riche comme je savais me débrouiller pas pire en HTML. J’ai toujours été le gars qui avait su déceler que l’avenir était dans les nouvelles technologies. Celui qui avait une longueur d’avance sur la plupart des gens et qui saurait en tirer largement profit. C’est, entre autres, comme ça que j’ai pu obtenir le respect au secondaire. En étant ce gars qui a rendu sexy le web alors que c’était encore un truc de boutonneux timide qui ne sort jamais de chez lui.

Quand j’explique que je claque systématiquement la porte aux commanditaires qui sollicitent ma notoriété, les vieux amis et la famille débandent. Quand je leur fais comprendre que je n’ai rien à fiche de la télé, des galas et des tapis rouges, ils débandent. Même chose quand je leur dis que je ne travaillerai jamais au Journal de Montréal pour des raisons qui, je croyais, leur apparaîtraient évidentes : ils débandent.

Ce que je fais n’est soudainement plus sexy ni glamour. Le respect qu’on avait pour moi se volatilise instantanément. Le succès est ailleurs. On le trouve dans une photo épurée de chambre d’hôtel gracieusement fournie par une marque de cosmétique, par exemple.

Parlez-en aux humoristes. Aux musiciens qui ont des bands. Ce qu’ils vivent est similaire. Ils vous diront qu’on attend d’eux à ce qu’ils foulent les planches de La Voix, qu’ils aboutissent dans un gala de l’ADISQ et Juste pour rire. On s’enquiert avec insistance: pourquoi ne te voit-on pas aux côtés des Laurent Paquin et des Peter MacLeod? Quand vas-tu participer au Tricheur? Et Atomes crochus? Tu dois être à la veille de rouler sur l’or, là?

L’argent, le glamour : tout ce qui compte. Le reste, on s’en fout. C’est frivole. De l’utopie d’artiste qui se contente de beurre de peanuts. Pas de quoi rendre fier l’ami au pick-up qui n’a certainement pas peur d’embarrasser Alexandre Barette à grands coups d’inépuisables jokes de taxi payant à l’épicerie.

La semaine dernière, la chanteuse et comédienne Claudia Bouvette honorait un contrat de pub pour McDo. Juste comme ça, on suggérait à ses 120k abonnés Instagram, jeunes, que le café de McDo avait quelque chose de glamour. Qu’il n’avait pas de quoi faire sourciller. On laissait miroiter que McDo n’était désormais plus même l’ombre à lueur jaune et rouge de ce qu’il a été au début des 2000s. Il est propre, jeune, branché, vert, santé et ne désire plus compter les pauvres parmi sa clientèle. Dans les commentaires, personne n’a manifesté de déception ni de questionnement. Les mots qu’on avait pour la nouvelle torréfaction du géant du fast-food se voulaient tous favorables.

Autrefois, c’est-à-dire avant-hier, prêter son identité à une marque était l’ultime recours des exaspérés qui attendent au pas de la porte qu’on vienne leur donner de quoi se nourrir. Il y avait une réticence. Un certain mépris. Fallait y réfléchir longuement avant d’apposer sa signature sur le papier. À moins d’être Martin Matte, on ne s’en faisait pas une fierté. On acceptait du bout des lèvres. Si au moins on pouvait un brin lire à travers les photos le sentiment que c’est fait à contrecœur. Hélas, c’est bien pire : c’est absolument cool de s’associer à un logo. 

Dorénavant, on n’hésite pas à se convertir en panneau réclame ambulant pour ces marques. C’est la nouvelle manière de faire. Les Wal-Mart et les McDo ne nous rebutent plus. L’idée que des corporations nous choisissent parmi un shitload d’humains nous affriole, nous flatte l’égo. Moi. On m’a vu, on m’a sélectionné. MOI. On me sait capable, moi, l’individu, moi et pas un autre, de donner du faste à un produit. Moi qui appartiens à une niche convoitée, une niche qu’on ne sait plus comment séduire. Moi je peux. Moi je sais. Moi je détiens ce pouvoir.

On envoie le message à nos plus jeunes abonnés qu’il est tout à fait louable d’opter pour la voie de la photo épurée de croissant et de latte dans un condo lumineux de quartier aisé. Que cette vie est possible. On pousse vers le factice, le faux-glamour et le bonheur affecté. Vous aussi pouvez le faire! Soyez beaux, minces, élégants et redorez l’image de marques qui, en échange, vous donneront l’impression d’être quelqu’un de vraiment important!

J’ai un tas de raisons de renvoyer chez elles les entreprises qui demandent à piger dans ma notoriété. Mais je crois que celle-ci est ma principale : je refuse de prendre part à cet aberrant cercle vicieux qui contribue significativement à l’avilissement des métiers non-glamour et qui nourrit l’idée que la réussite t’attend dans un vol d’avion commandité. Je refuse de donner raison aux vieux amis et à la famille qui seraient donc fiers de savoir fort en santé mon compte en banque sans jamais tenir compte des efforts déployés et de la qualité de mon travail. Sans jamais tenter de s’intéresser sincèrement à ce que je fais.

Quand on me demande : ça paye-tu au moins cette affaire-là? Je réponds que, rien à fiche, je suis concierge. 

Influenceur Instagram est possiblement la chose la plus sale que nous a donnée l’année 2016. Ne soyez pas influenceurs Instagram, guys. Pas mal certain que vous avez tellement mieux à offrir.