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Le Détesteur: pourquoi Montréal devrait être plus condescendante
Crédit: Murphy Cooper

J'ai tant rêvé de Montréal. Tant rêvé de cette grande voisine, de la curieuse Montréal native de ma mère, nostalgique, qui n'a cessé de faire les louanges de son St-Henri d'enfance. Déjà, je n'avais pas encore l'âge de lire ces bouquins dont l'intégralité du récit se déroule dans l'un des quartiers populaires de la métropole que j'étais en mesure de faire défiler les images dans ma tête.

Tôt, je savais Montréal. Je ne l'avais pas seulement imaginée, j'y ai passé un peu de temps. Mes séjours à l'Hôpital Ste-Justine. La visite chez les tantes. Le Forum et le Stade. Je dérobais tout le mystifiant qu'il y avait à dérober en chemin et l'insérais en douce dans la poche intérieure de mon imaginaire. Ces souvenirs sont demeurés, au même endroit, intacts.

Je prends le métro tous les jours depuis 10 ans, l'autobus passe sans fin sous la fenêtre de mon appartement. Pas une journée ne file sans que je n'aie le sentiment de me retrouver à bord de ces grosses machines qui ont alimenté le jardin onirique de mon childhood dans le long métrage (1984) de Micheline Lanctôt, Sonatine. Et l'appartement où je loge; je ne m'y accoutumerai jamais je crois, c'est le même que celui qu'on nous montrait en générique d'ouverture de sitcoms québécoises.

Ce matin, Montréal s'est doucement réveillée de sa tempête de la veille. Ces images de froid urbain qui ont lorgné mes pas jusqu'au café du coin sont les exactes images qui servaient de toile de fond aux émissions jeunesse de mes parents. Montréal est ce drone qui m'a pris pour cible et qui refuse de lâcher prise. On n'en revient jamais vraiment d'habiter Montréal. Au réveil, je m'étonne encore d'ouvrir les yeux au beau milieu de la métropole. Je me pince. Comme si ça se pouvait que le petit homme de banlieue s'y soit établi. Je plonge tête première dans l'abondance qui ne s'estompe que tard le soir, je m'y perds et je rêvasse. Je suis le protagoniste perpétuel d'un court métrage de l'ONF. Le résident permanent d'un film indépendant qui ennuie les bourgeois de banlieue.

La poésie est ici sournoise. Un moment d'inattention et, rien que le temps de relever les yeux, poésie ici, là, partout. C'est violent de poésie. Violent d'histoire. Montréal la câlisse de sauvage.

Pourtant. Lorsque j'ouvre ma télé, que j'assiste à la cérémonie d'ouverture d'un festival ou que je visionne la spéciale « Montréal s'allume » qui donne le coup d'envoi au 375è, je ne le ressens pas. Je ne ressens pas ces sentiments pour elle que j'ai relatés plus haut. L'esprit de métropole n'y est pas. L'image qu'on lui offre pour son anniversaire ne lui est pas fidèle. La télévision ne lui est plus jamais fidèle.

Même si on s'efforce d'insérer des membres de nos communautés culturelles au programme, un truc cloche toujours. Ce n'est pas ma Montréal que je vois. Jamais. C'est une version d'elle qu'on a diluée pour plaire aux régions. Pour les cotes d'écoute. Pour ne pas froisser l'égo des non-Montréalais. La Montréal de Québécor. La Montréal des quiz télévisés de Radio-Can. La Montréal de mononcle et matante.

Montréal n'est pas assez condescendante. On ne lève pas suffisamment le nez aux régions. On a si peur de leur causer du chagrin qu'on en perd notre identité. C'est comme si, dans le jour, nous vivions à fond la Montréalité, et une fois les caméras allumées, nous nous employions à dissimuler le métro derrière un énorme rideau charbon, au cas où Alain de La Tuque nous trouverait un brin trop pincés à son goût.

On revêt le manteau démographique de la province pour faire plaisir à Alain plutôt que d'exister pour nous et par nous.

On a si peur de laisser transparaître que Montréal est mieux que les autres. Mais il avère que, Montréal EST mieux que les autres. Tant mieux si on jalouse la métropole. TANT MIEUX. Montréal a de quoi rendre câlissement jaloux. C'est le propre d'une métropole. Laissons les jaloux jalouser. Cessons de nous crisser à plat ventre au moindre complexe d'infériorité de Québec et des régions. Nous devons exister indépendamment de ces dernières.

En regardant « Montréal s'allume », je me demandais: mais qu'a-t-il de Montréal plus que les autres, Eric Salvail? Et Mariloup Wolfe? Et Patrice Bélanger? Et Charles Lafortune? Ah ok, ils y habitent. Mais encore? La plupart du temps, ils s'adressent à et s'assujettissent au Québec dans son entièreté. Ils atténuent délibérément leur fibre montréalaise. Mais en quoi symbolisent-ils véritablement Montréal? Vite comme ça, me vient d'emblée en tête Muzion, quand je pense à Montréal. Pas Charles Lafortune. Il pourrait très bien vivre à et tourner ses quotidiennes depuis Sherbrooke que ça ne changerait pas grand chose.

L'esprit de Montréal est si piètrement représenté sur nos grandes chaînes depuis des lunes. On lui attribue des porte-paroles qui, par exemple, s'entretiendront avec les Dead Obies à grands coups de « yoyoyoyoyo chill franglais peace man ».

Je suis si triste d'entamer les festivités du 375è aux côtés de personnages avec qui je n'ai probablement que le H du code postal en commun et qui s'affairent quotidiennement à faire de Montréal l'affaire d'une province, avec des vedettes provinciales et des goûts très provinciaux. Si Montréal existe, c'est justement pour mystifier, pour que l'on caresse le rêve un peu fou d'un jour s'y installer. De vivre ou refaire sa vie autrement, en pleine immersion urbaine et multiculturelle. De se péter les molaires en mordant la gueule pleinement déployée dans l'inconnu. S'extirper de sa zone tristement confortable. Échapper au commun.

Ce qui m'est vendu à la télé et pour le 375è n'a rien à voir avec la Montréal qui m'est chère. Je veux qu'Alain de La Tuque se gratte la tête, qu'il sacre devant sa télé parce qu'il n'a pas approuvé au préalable nos vedettes locales, qu'il ne se sente pas chez lui. Je veux dépayser les mononcles et matantes de régions. Je veux qu'ils soient envieux de la métropole. Pas les réconforter en leur garochant des Salvail et des Lafortune douillets. Je veux maintenir la rêvasserie bien vivante.

C'est l'anniversaire de Montréal et des Montréalais. Pas du Québec et des Québécois. Il y a déjà la St-Jean pour ça. 

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