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Le Détesteur: « ç’a pas d’allure d’installer du gazon sur la neige! »
Crédit: page Facebook de Thomas Gerbet / Sasha Campeau / Montage
Je suis un expert dans pratiquement tous les domaines. Pour solliciter mon avis, veuillez me suivre sur Twitter: @murphycooper.

Rien qu'hier. J'ai vu circuler cette photo de tourbe en train d'être installée sur René-Lévesque alors que la neige faisait son nid au sol. AYOYE. C’est étrange tout ça. Poser du gazon alors qu’il neige ! Tu fais quoi, Denis Coderre? Allô, l’été c’est en juillet lollllllllllllllllllll.

Heureusement que Denis partageait mon point de vue d’expert en pelouse. Lui aussi trouvait ça bien bizarre. Alors, gestion de crise oblige, le contracteur ne sera pas payé. Ça me rassure de savoir ça. Même si, bon, selon les vrais experts, il ne s’agirait pas ici d’un cas de fin du monde de poser de la tourbe sur un sol enneigé. Pas grave. C’est fait. Comment savoir? Qui dit vrai? Qui connaît bien son truc? Peut-être ai-je raison. Peut-être que les experts savent mieux que moi. Peut-être se trompent-ils. Peut-être que Denis a réagi rapidement en connaissance de cause.

Chose certaine, Twitter a encore gagné. Nous avons, une fois de plus, de justesse, évité une crise.

Ça me rappelle cette fois où j’ai été très mal reçu par la caissière de la pharmacie où j’étais client régulier. Humilié. Je leur avais écrit pour leur faire part de l’incident en prenant soin de préciser, avec un ton passif-agressif, que je n’y retournerai plus pour un moment. En panique, ils m’ont sitôt réécrit pour m’offrir un dédommagement. Ils ont juré qu’ils parleraient avec l’employée. Et m’ont même écrit une seconde et troisième fois pour faire le suivi, comme je ne répondais pas. M’ont même laissé un numéro pour régler le truc par téléphone. Ils m’ont assuré que le comportement de cette jeune employée ne faisait pas partie des pratiques courantes de leur entreprise. J’espère bin esti. Je sais tout ça. Qui serait assez idiot pour avoir comme valeurs de manquer de respect avec la clientèle? Je déteste qu’on me prenne pour un idiot. Ta caissière est conne, that's it. C’est tout. Je suis capable de comprendre qu’il s’agissait d’un cas isolé, d’une employée malotrue.

Bref, je n’ai ni retourné le courriel ni appelé. J’ai senti que l’approche était factice. On aurait dit un ex achalant qui tente très maladroitement de réparer les pots cassés en s’enlisant plus il parle. Je voyais bien qu’ils cherchaient à éviter une crise sur les médias sociaux. Je ne pense pas qu’en d’autres circonstances ils se seraient montrés aussi soucieux de mon expérience.

Je n’aime pas cette impression de tenir les gens qui sont à mon service (outre la police) par les couilles. De savoir qu’en permanence ils devront marcher sur des oeufs sans quoi j’irai les démolir sur les médias sociaux.

Tenons-nous-en à: ta caissière a gaffé et j’irai maintenant chercher mon pain chez le compétiteur. Accepte-le. J’apprécie les excuses. Et si après ça, malgré ta bonne foi, je cours pleurnicher sur ta page Facebook dans le but malveillant de vous causer du tort et, ultimement, que mon visage spinne sur les chaînes en continu pendant 48h, bin sache que je suis dans le tort. Un gros crisse de bébé opportuniste qui abuse des pouvoirs qui viennent avec le clavier.

C’est pas vrai que j’ai toujours raison. C’est pas vrai que mes petits bobos peuvent, en tout temps, être exacerbés jusqu’à devenir un problème national. C’est pas vrai qu’une photo sans contexte peut toujours servir de preuve béton pour qu’un maire en fasse un cas prioritaire. Une urgence. Pour qu’il agisse dare-dare, poings serrés et sans recul. HEY, C’EST MOÉ QUI DÉCIDE ICITTE PIS LÀ MES ABONNÉS SUR INTERNET SONT PAS BIN BIN CONTENTS FAK JE VAIS PRENDRE UNE DÉCISION SUR UN COUP DE TÊTE AFIN QUE TOUT SOIT RÉGLÉ LA JOURNÉE MÊME.

Je refuse de vivre dans un monde où un maire accepte, de façon crissement précipitée, d’envoyer sur le chômage des cochers, sous prétexte que des gens l’ont sommé de retirer les calèches de Montréal, après que la photo d’un cheval en mauvais état ait fait scandale sur Twitter. Même si l’amoureux des animaux en moi penche en faveur du retrait des calèches. Même si, potentiellement, j’ai raison de croire que cette pratique est cruelle. Même si j’ai raison, crisse. Je ne veux pas que mes impressions de citoyen priment sur la rigueur. Je veux qu’on vérifie si ce que je dis est exact ou pas. Peut-être que je parle à travers mon chapeau, aussi. Peut-être que je ne parle qu’avec mes émotions. Peut-être aussi que les médias sociaux s’enflamment pour rien, parfois. 

Au final, agir sous la menace constante de voir ta réputation minée pour enfin te rétracter quelques jours plus tard, ce n’est ni sincère ni mieux que de mettre un dossier en suspens sans donner de nouvelles. 

Je suis un indicateur. Les yeux de la métropole. Sa voix. Pas un expert en tous les domaines. Encore moins un bourreau. Si je m’insurge, porte grande attention, mais garde en tête qu’il est probable que je me sois trompé. Ou encore que j’exagère. Je ne peux pas tout connaître. Ne laisse pas les retweets t’impressionner.

Je suis certain qu’il est possible d’être à l’écoute des citoyens sans forcément céder hâtivement aux caprices de tout un chacun. Je ne veux pas d’un maire qui s’agenouille à mes pieds aussitôt que je me garroche sur mon keyboard. J’en veux un qui m’écoute et prend le temps d’analyser mes demandes à tête reposée, sans gun sur la tempe. 

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