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Critique de «Le Royaume des animaux» : rentrée théâtrale réussie du côté du Quat’Sous
Crédit: Courtoisie / Yanick Macdonald

En règle générale, ma façon d’aller au théâtre est d’éviter à tout prix les critiques, les programmes de soirée, les synopsis listés sur le site des diffuseurs… J’aime me faire absorber par une œuvre quand je suis vierge, voire même un peu clueless, un peu parce que je suis influençable et beaucoup car les surprises artistiques me font plaisir.
 
Là, j’étais pas mal au courant de ce dans quoi je m’embarquais. La semaine précédente, j’avais eu la chance de bavarder avec Éric Bernier, un des six comédiens portant Le Royaume des animaux. Je savais que la déchéance humaine et les rapports de force étaient au cœur des thématiques; je savais qu’il y avait eu un travail de fond sur l’instinct animal; je savais que ce n’était pas simple comme œuvre et qu’elle avait le potentiel de chambouler. Et au final, ce bagage m’a permis de jouir du 1h40 de représentation en y allouant une réflexion de fond.
 
La trame narrative en soi est assez simple. L’histoire est celle d’une troupe abrutie par la pièce qu’ils interprètent et réinterprètent, plusieurs soirs semaine, et ce depuis un long six ans. Les comédiens sont vidés, désillusionnés, et captifs de rôles absurdes qui perdent leur sens un peu plus chaque fois qu’ils grimpent sur les planches.

Pendant la première partie de la pièce, on assiste au spectacle dont il est question. Au bout de cinquante minutes, c’en est quasi insoutenable. Je ne peux que féliciter Angela Konrad, la metteuse en scène, d’avoir su transmettre au public le même sentiment pénible de redondance perpétuelle dont les acteurs sont victimes. Très judicieux.
 

Crédit : Yanick Macdonald

Au début, j’avais peur que cette mise en abyme du théâtre dans le théâtre soit hermétique; que ce soit du monde de théâtre qui s’adresse au microcosme de cet art. Ma crainte était que l’échantillonnage du métier soit si précis que les non-théâtreux auraient peine à s’y rattacher. Faux! Le théâtre n’est qu’un prétexte pour mettre en lumière des principes sociétaires auxquels nous faisons tous face à un moment ou un autre : la domination, l’intimidation, la détresse, l’abêtissement. Tant qu’en quittant, il est impossible de ne pas s’adonner à des parallèles avec sa propre condition, son propre parcours professionnel. Ce que je me plais à appeler « la prostitution intellectuelle » est un vaste sujet qui peut se prêter à toutes les sauces. Là-dessus, l’œuvre frappe certainement un coup de circuit.
 
J’ai été franchement étonnée et fascinée par le jeu des comédiens, particulièrement celui de Marie-Laurence Moreau qui personnifiait une antilope. Elle dégageait une puissante sensibilité qui touchait et troublait. Les détails de son jeu physique rendaient avec brio les réflexes nerveux de la gazelle. Ses gestes étaient minutieusement décortiqués et parvenaient à faire ressentir la bête derrière la personne. 
 
Je tiens aussi à féliciter le travail des concepteurs. La scénographie est léchée et adroitement dénudée, ce qui plonge le spectateur dans un non-lieu porteur d’imaginaire. Les costumes sont à couper le souffle. La recherche de matériaux et de textures ajoute une couleur particulière à la pièce, une singularité bizarre et captivante. La musique, quant à elle, est splendide et les notes récurrentes de Wagner apportent une profondeur supplémentaire au tout. Les éclairages ont été brillamment conçus et participent à la plénitude de l’œuvre.

Somme toute, Le Royaume des animaux vaut la peine. C’est une bébitte étrange et prenante qui reflète adroitement le conditionnement humain, la déchéance des rapports, et l’insidieuse ascension au pouvoir.

LE ROYAUME DES ANIMAUX
Jusqu'au 1er octobre 2016
Au Théâtre de QUAT'SOUS