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Le Détesteur: le poids de Katherine Levac et l’hypocrisie des non-gros
Crédit: Johana Laurençon

J'en ai parlé quelques fois ici : je suis chubby. Gros, pour ceux qui insistent. Pas la première fois que je suis gros. Au même titre, ça va de soi, que je sais comment on se sent dans la peau de quelqu'un qui ne l'est pas du tout.

J'ai été gros peut-être 8 fois dans ma vie. Et pas gros, presqu'autant de fois.

On a jasé pas mal de la perte de poids significative de Katherine Levac, la semaine dernière. Du fait qu'elle ne voulait pas en parler. Et comme en fait mention le blogueur du Voir Mickaël Bergeron, la perte de poids nous est sans cesse présentée comme si le détenteur du corps nouvellement transformé revenait de loin, d'un monde tragique qu'il nous faut à tout prix éviter. Un patient dont la tumeur vient d'être éradiquée pour de bon. ENFIN! On peut t'en parler, sans heurts ni tracas, de cette maladie maudite qui, chaque jour, creusait le fossé entre ta pauvre personne et le grand nous.

« On n'était pas d'accord avec ton choix d'aller vivre ailleurs, mais maintenant que t'es revenu, on peut bien t'en parler! Rebienvenue parmi nous! Ça fait tant de bien de pouvoir aborder le sujet, si seulement tu savais. Tu semblais si loin. »

Chaque fois que j'ai tenté de faire comprendre cette réalité, combien le comportement des gens n'est pas le même quand on est gros, on ne m'a pas pris au sérieux. C'est comme si les gens entraient instantanément en mode négation, du moment où tu cherches à leur faire comprendre qu'ils ont la fâcheuse manie d'être hypocrites, en ce qui concerne leur manière de traiter avec l'obésité.

J'ai connu les deux mondes. L'un, dans lequel j'étais turbo sollicité, où tout était plus accessible, plus simple, où tout m'arrivait plus facilement. L'autre, dans lequel on cherchait à me protéger pour ne pas me faire de peine, où on me mentait, m'infantilisait, où on tentait de me tenir à l'écart.

Tout est différent. ABSOLUMENT TOUT.

Dans le monde second, on te prend constamment pour un crisse d'épais. Je l'ai su le jour où j'ai perdu mes premières 50 livres. D'un seul coup, la relation que j'entretenais avec les humains n'avait désormais plus rien de complexe. On prend un café? Oui? Go. On prend un café. Pas de niaisage. On sort ce soir? Oui? Pas de problème. Maintenant que t'es beau, il n'y plus de danger que tu fasses fuir les filles. T'es l'un des nôtres, dorénavant. Allons-y. Toi, nous, rien que des belles personnes. Fini le fardeau de traîner le petit gros. Les gens ne sourcilleront plus quand ils t'apercevront avec nous. Faut dire que tu contrastais quand t'étais gros et que tu n'intéressais personne. Qu'est-ce que des beaux mecs comme nous pouvaient bien crisser avec un obèse comme toi?

Avant ça, je ne réalisais pas combien tout était compliqué. La plupart des gens s'inquiétaient de ce qu'on allait penser d'eux, si par malheur, ils devaient être vus en ma compagnie. Bon, à l'école ou dans un parc, pourquoi pas. Le contexte le permettait. Dans un lieu de rencontre, de danse et d'alcool, là, c'était pas pareil. On calculait l'impact qu'aurait ma présence sur la réputation. On m'accordait moins de crédibilité, aussi. Comment pouvais-je accomplir de grandes choses après tout? Le succès est une affaire de belles personnes. On me prêtait une sédentarité qui n'était pas mienne. Une paresse. De très mauvaises habitudes de consommation.

Mon identité entre leurs mains. Je n'avais pas un mot à dire. Tous les gros sont les mêmes et c'est comme ça.

Bref, oui, quand je relate mon histoire, issue de la richesse d'avoir appartenu maintes fois à deux univers complètement distincts dans un même corps, les non-gros, ceux qui ne l'ont jamais été, se bouchent les oreilles. Cet autre monde n'existe pas. Le comportement des gens ne peut pas vraiment changer en fonction du poids des autres, impossible. Pourtant, oui. C'est si frappant. Décâlissant.

Il doit bien y avoir un truc pour expliquer ceci, qu'on me répète. C'est mon estime de moi-même. Ça doit être ça. Quand je suis gros, je manque d'estime. Et ce manque d'estime repousse les gens. Il rend lourd et indolent. C'est ce qu'on se tue à me dire chaque fois. Pas mon mot à placer ici non plus. C'est sûrement ça.

Quand je relate mon histoire, les bons mots et témoignages me viennent de personnes aux prises (ou ayant été aux prises) avec un surplus de poids. Idem pour les likes, les messages privés et les commentaires. Les autres ne veulent rien entendre. Pas sexy. Lourd. Exagéré. Ça ne les regarde pas. Pas leur réalité. 

Je pourrais comparer ce feeling d'impuissance à celui que je ressens quand je parle de mon insomnie à des amis qui n'ont jamais eu de problème à s'endormir. BIN OUI MAIS DORS C'EST TOUT ARRÊTE DE TROP PENSER PIS ENDORS-TOI C'EST PAS COMPLIQUÉ. 

La réalité des autres n'intéresse personne. Au même titre que BlackLivesMatter n'intéresse que les noirs. On a beau vulgariser, crier, écrire, cogner dans les murs pour se faire entendre : rien à faire. Les gens s'en tiennent à leurs propres limites de compréhension. Leur propre expérience comme unique et infaillible indicateur. 

Quand je perds du poids par contre, LÀ c'est intéressant. Là, on peut en parler. Parlons de ma perte de poids. Ma perte de poids seulement. De mon avenir en tant que non-gros. Parlons de combien on est heureux que je sois de retour parmi les non-hideux. Par contre, ne parlons pas de comment je me suis senti pendant mon long voyage à Gros City. Ne parlons pas de combien les gens sont câlissement hypocrites et soucieux de ce qu'on pourrait penser d'eux s'ils devaient être surpris en ma présence. Ne parlons pas de ça. Évitons de parler de mon séjour en enfer. Un enfer qui m'appartient, que j'ai provoqué moi-même. Un enfer dont je suis l'unique responsable. Comme si j'avais fait une grave erreur de devenir gros, d'avoir laissé tomber tout le monde. Comme si on me pardonnait d'avoir obligé tout le monde à dealer avec le gros tas gênant que j'étais devenu.

Faisons comme si le comportement de tout le monde n'avait pas abruptement changé dès la fonte perceptible des premières 20 livres. Évitons le sujet, veux-tu? J'ai déjà suffisamment de mes problèmes comme ça. Je n'ai pas envie de reconnaître par dessus ça que je passe ma vie à être hypocrite.  

Contentons-nous de célébrer mon retour parmi les beaux. 

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