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Le Détesteur: lettre aux gens dans le métro qui ont laissé un itinérant m’assassiner
Crédit: Johana Laurençon

J'ignore si c'est seulement à moi qu'arrivent ces choses. J'ignore aussi si ces choses ne surviennent que sur la ligne verte entre les stations de métro Verdun et Guy-Concordia. Alors je ne m'emploierai pas à parler pour l'ensemble des Montréalais. Voici mon histoire.

Ça fera bientôt quatre ans que j'ai cet emploi de nuit. Et depuis quatre ans, je pars de mon #verdunluv adoptif (qui soulignera son 4e anniv d'existence prochainement aussi) pour m'y rendre. Entre 21h et 23h. Dépend. Horaire plutôt flexible. Quatre soirs par semaine.

Si je peux rassurer quelques parents dont les enfants aux études ont dû faire 6h de route pour venir s'établir ici : tout est chill. No worries. Le métro est, d'ordinaire, safe. Pour avoir circulé entre ses portes pratiquement tous les jours de ma vie — en fin de soirée en plus — depuis les quatre dernières années, je valide que tout est absolument chill.

Ceci étant dit, je dois reconnaître que mon expérience n'est plus tout à fait la même depuis quelques mois. Depuis que les itinérants au tempérament instable et agressif prennent de plus en plus en otage les pauvres gens coincés dans les wagons déjà en marche.

Il m'est arrivé de craindre pour ma sécurité quelques fois au courant des dernières semaines, dont cette fois où, par je ne sais quel miracle, j'ai pu échapper à un SDF (sans domicile fixe) manifestement intoxiqué qui, kickant partout et menaçant de s'en prendre à moi, pointait une paire de ciseaux vers mon visage. Les portes se sont finalement ouvertes et je m'y suis faufilé de justesse.

J'en ai voulu aux gens, passifs, qui se contentaient de chercher la peur dans mon regard. Terrifiés, médusés et impotents. Le problème d'un autre, le mien. Pas le leur. Fiou. Eux, les spectateurs d'un drame probable. Sous leurs yeux. Moi, la possible victime d'un itinérant agité qui me gueule de l'inintelligible en pleine tronche, ciseaux à la main.

Je les comprends, remarque. Je crois bien que j'aurais figé également. Lâche comme ça, I know. Pas meilleur que les autres. Pas très bagarreur, surtout. Non, à vrai dire, ce n'est pas pour cette exacte raison que je leur en veux.

C'est que cet homme était visiblement en détresse, et avant qu'il arrive à moi, je l'ai regardé se heurter à de multiples « NON » empreints de dédain, quelques « DÉCÂLISSE » dégoulinants de mépris et des refus systématiques de lui reconnaître son statut d'être humain en ignorant carrément sa présence.

Et au fur et à mesure qu'il constatait que son verre de plastique Coors Light ne se remplissait pas, sa crise s'accentuait. Devenait de plus en plus agité. Rendu à mon tour, malheureusement, je n'avais rien du tout sur moi. Revenu Québec m'a ruiné.

C'est là qu'il s'est mis à me confronter. M'a demandé si je le prenais pour un tabarnack d'épais. Rien de ce que j'ai dit n'a pu le calmer. Un wagon en entier — et peut-être les wagons d'avant — venait de banaliser son appel à l'aide. Venait de le déshumaniser. De le rendre invisible. De lui prêter un état sévèrement altéré, lequel lui empêcherait de prendre conscience que tout le monde se fiche de sa situation.

J'ai dû payer les frais (en ayant très peur) pour tous ceux qui étaient en moyen d'aider cet homme ce soir-là, mais ne l'ont pas fait. Tous ceux qui auraient pu traiter avec lui comme on traite avec les humains et pas comme avec une poubelle.

Non seulement c'est inhumain pour la personne en détresse, mais c'est câlissement irresponsable pour les passagers qui se retrouvent coincés, vulnérables, avec ce dude qui devient violent dans l'étroit wagon. C'est compromettre la sécurité de tout le monde. Notamment celle des enfants, des femmes et des personnes âgées.

Mais les gens ont sans cesse la peur irrationnelle de se laisser embourber par les sans-abri. Embourbé pour 25 sous! Vingt-cinq câlisse de cennes. T'imagines? Le gars sollicite le vieux change qui traîne dans nos poches. Sacré fraudeur!

Les gens s'accrochent à ces vieilles excuses concoctées au préalable du genre: «Tu leur donnes 25 cennes pis ils te crachent presque au visage! C'est jamais assez! Ils en sollicitent toujours plus! C'est fini, je ne donne plus. Ils sont trop ingrats.»

Évidemment que certains en veulent toujours plus. Ce sont des sans-le-sou. En mode survie, j'insisterais un peu, moi aussi, pour que tu fouilles une seconde fois dans ta poche. Qui sait. 

Le gars n'est pas tenu d'accepter ton petit crisse de change avec l'humeur de ton choix. T'as contribué à payer son Big Mac chez Mcdo, pas ramené sa mère décédée à la vie. De toute manière, pas tous les SDF sont les mêmes. D'autres te souriront.

Quoi qu'il en soit, on ne refuse pas de donner seulement pour ça. JUSTE AU CAS. Au cas où tu manquerais de vigilance et que ton 25 sous permettrait de nourrir la bouche de quelqu'un qui ne t'a pas remercié assez chaudement. Qui ne mérite clairement pas ces 25 cennes-là. 

Bref, être dérangé dans le confort du métro, c'est pas cool. J'en conviens. Et c'est pire quand tu ne peux pas te sauver. Mais être confiné dans un wagon avec un itinérant qui pète solidement les câbles parce qu'on vient de le prendre pour un moins-que-rien, c'est encore moins cool. I know, ça m'arrive régulièrement. Au moins deux soirs/semaine. 

Moins cool encore, ces impressionnantes crises — qui se font de plus en plus fréquentes — sont pourtant facilement évitables. Fouille donc dans ta poche, de temps en temps. Et cesse, s'il-vous-please, de te montrer dégoûté par ces gens. Qu'est-ce que t'as à perdre anyway? 10 cents? 

Tout le monde t'en sera reconnaissant.