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Le Détesteur: mon problème avec «Hot Dudes Reading»
Crédit: Johana Laurençon

La première fois qu'il m'a été donné de voir circuler l'initiative «Hot Dudes Reading» (ils en ont fait un bouquin, publié en avril dernier) sur les médias sociaux, je me suis demandé : mais pourquoi donc «Hot» précède-t-il «Dudes»? C'était nécessaire? Parce que juste «Dudes» tout seul, c’était pas assez sexy, pas assez vendeur ?

La lecture, c’est mon refuge. C’est l’endroit que bien des cons ayant miné ma qualité de vie au secondaire ne fréquentent pas. Mais devraient. C’est ici que je viens quand je veux me débrancher du vrai monde, quand je me sens vulnérable. Ici que je cultive une fascinante relation avec la voix hors champ dans ma tête. Cette voix qui n’est pas la mienne ni celle de quelqu’un que je connais, d’ailleurs. Une voix qui, toutefois, me rassure. Un moment qui m’appartient dans un monde sans branding ni logo. Sans dresscode. Un rare univers à l’intérieur duquel l’esprit de quiconque peut s’immiscer. Où on demande d’accrocher corps et orgueil à la patère avant d’aller plus loin. Pour une bien meilleure expérience.

Bref, oui, mon refuge quand je me sens vulnérable. Mon refuge en toute circonstance.

Et pis là, tout à coup, je sens qu’on cherche à faire de mon refuge un endroit prisé et revampé. Un quartier en constante gentrification où on érige expressément des trônes pour les nouveaux citoyens branchouillards et brillamment lookés. Pour ses récentes belles gueules qui donnent du faste au paysage.

C’est comme si on me faisait parvenir un communiqué laissant entendre limpidement que : hey dude, bonne nouvelle ! Quand tu lis dans un lieu public, on t’observe pis on te trouve vraiment sexy. Moins bonne nouvelle : cette nouvelle ne te concerne pas du tout, finalement. Sorry.

Parce que bien sûr, je dis ceci en assumant que je ne suis pas hot. Du moins, c’est ce que je crois. Pas selon les critères évidents des auteurs du livre. Et même si je l’avais été, j’aurais trouvé cette initiative injuste pour les autres.

Désormais, quand je lis dans le métro, cette idée qu’on puisse se dire de moi que je ne suis pas assez hot pour mériter de tenir ce livre qui est dans ma main n’épargne pas facilement mes pensées. Qu’on puisse m’attribuer une note. Parce que hey, « c’est cool que cet homme lise un bouquin dans un lieu public, c’est juste dommage que le physique ne matche pas son insatiable volonté de savoir. Pas assez digne qu’on en fasse mention sur un blogue ! ».

Pas qu’on tente de m’interdire la lecture. C’est pas ce que je dis. Seulement, cette idée que les belles personnes auront toujours plus de mérite de faire ce qu’elles font n’aurait jamais dû atteindre le portail menant à un monde aussi neutre et personnel qu’est celui de la littérature.

Pour tout le reste, si vous tenez à convertir votre environnement en Beachclub de Pointe-Calumet, go ahead. Ça vous appartient. Tout est fichu, anyway. Mais la littérature, crisse, la littérature, je vous en prie, n’y touchez pas.

La littérature c’est le savoir, et ultimement, elle ne devrait jamais se faire l’alliée du sentiment d’exclusion. Elle est trop vitale pour qu’on hiérarchise les lectrices et les lecteurs selon l’apparence physique. Pour qu’on les objectifie. Pour qu’on les extirpe du banc public qui sert d’alcôve confortable et VIP. Pour qu’on force les impénétrables stores de l’intimité. Pour qu’on invite les gens à scanner du regard les grands, chauds et charismatiques férus des lettres dans le transport en commun.

On a déjà assez des pages frontispices de magazines pour nous dicter qui sont les beaux/belles et qui sont les laid-e-s. Déjà assez de la télé et de Hollywood pour faire le même boulot. C’était vraiment nécessaire de prendre d’assaut mon petit coin de refuge qui me permet justement d’échapper à ces conneries de diktats ?

Êtes-vous capables de vous comporter autrement qu’en douchebags des fois ou il y a une force indicible qui vous en empêche ?

Cet endroit — ce refuge — est sacré. Merci de bien vouloir respecter ça.

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