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Le Détesteur: tout le monde est un douchebag maintenant. Pas seulement le Beachclub.
Crédit: Johana Laurençon

On dirait bien que cette année, les gens sont foutrement déterminés à s’affranchir du roulement des yeux naturel qui vient avec la phrase suivante: « Hey! La fin de semaine dernière je suis allé au Beachclub de Pointe-Calumet! »

On parle de moins en moins du Beachclub comme d’un lieu de rencontre pour douchebags. On cherche même à nous arracher cette idée de la tête, à dédouchebagiser le Beachclub.

« Le Beachclub, c’est pu vraiment une place de douche »

C’est une impression qui semble planer au-dessus de nos têtes : le Beachclub n’est plus douche at all. Ou du moins, s’il montre encore de bénignes traces de contamination au douchebagism, l’été prochain il en sera complètement guéri. Et pourtant, c’est curieux, le Beachclub n’a jamais autant été aussi douche.

La raison pour laquelle cette impression est si forte et répandue chez les gens est simple. Le Beachclub n’a pas vraiment changé. Seulement, c’est tout le monde, au fil du temps, qui est devenu un douchebag. Voilà pourquoi autant de gens ont l’impression que cet endroit n’est plus aussi douche qu’il ne l’a déjà été. Tout le monde est un douche, maintenant.

Mettons de côté les muscles, les gros seins refaits, les voitures modifiées et les vêtements Ed Hardy; ces éléments qui n’étaient qu’accessoires à la mouvance douchebag n’ont servi qu’à mieux identifier ses adhérents. Mais l’esprit douchebag ne repose sur rien d’autre que l’éloge de l’insignifiance, du glam et du paraître.

De ce point de vue-là, le Beachclub honore encore très bien son mandat quand on jette un œil à sa liste d’invité-e-s des deux dernières saisons : Dan Bilzerian, Kylie Jenner, Paris Hilton. Noémie Dufresne.

Jusqu’à récemment, on pouvait encore ressentir une certaine résistance face à la vanité. Une volonté d’échapper à tout ce qui est frivole et qui met l’accent sur l’attrait physique des figures publiques. Tout ceci : gone. Abandon.

Signe que la campagne de dédouchebagisation du Beachclub s’est avérée nettement efficace au cours de la dernière année? Le Journal de Montréal allait couvrir l’année dernière la venue de Bilzerian au Beachclub, MAIS PAS POUR DE VRAI, qu’il disait. llllllllllllol. C’était de l’ironie. Pour se moquer. Parce que tsé, LOL, le Beachclub. Cette année, ce même Journal s’est rendu au Beachclub en mode groupie pour célébrer le passage de Paris Hilton à Pointe-Calumet. Sans la moindre trace d’ironie. Assumé. Du sérieux. Pas de quoi rire.

Dorénavant, on s’abonne massivement aux inconnus dont le physique fait rêver sur Instagram. On concocte le palmarès des plus beaux médecins de Montréal. On ne manque pas de diffuser le cliché Instagram d’une célébrité en bikini (sans tenir compte du talent dont elle est porteuse) et on s’affaire à rendre célèbres les membres de sa famille si, par le plus curieux des hasards, ils disposent eux aussi d’un corps à faire saliver les gluants. On n’hésite même plus à vendre la taille de guêpe, les muscles, les seins proéminents et l’immense pénis comme l’unique critère pour atteindre le vedettariat. On s’intéresse aux condos de vedettes récemment mis en vente. À leurs fortunes.

On fait un cas du statut Facebook anodin d’une star locale qui fait remarquer avec dégoût que le chien du voisin a passé la nuit dehors, l’empêchant au passage de dormir. On lui prête alors des intentions nobles d’activisme. On fait passer du pleurnichage de petit bourgeois super-célèbre pour une sortie cinglante à l’encontre des omnivores et des maltraiteurs d’animaux.

Quand une Lena Dunham bien en chair dévoile une photo d’elle seins nus et bourrelets bien en évidence, on s’en câlisse. C’est pas comme ça qu’on va délivrer les femmes des diktats de la beauté : pas assez sexy! Quand on fait de l’activisme, il lui faut être sexy. Ce qui est sexy par contre, c’est quand une Maripier Morin toute en shape publie une photo de son visage sans make up. Faudrait pas turner-off les gluants avec des bourrelets, quand même.

On s’amourache des personnalités dites inspirantes, qui ont atteint le modèle de perfection violemment suggéré par Pinterest. Ce qui inspire désormais, ce sont les gens qui arrivent à reproduire sans le moindre sou et le plus fidèlement possible ce qu’on pourrait facilement prendre pour une affiche publicitaire ou encore le frontpage d’un magazine. Le portrait affriolant de la minceur capté au beau milieu du paradis. Voilà ce qu’est le nouveau « inspirant ». Du beau monde assez joli et svelte pour être repêché par les plus grandes agences de mannequinat confondu avec « le vrai monde », celui qu’on n’a pas photoshoppé. Une représentation proposée comme plus honnête de la réalité. Alors qu’il n’en est pratiquement rien.

Il est si facile de se laisser embourber par cette impression de « vrai » : on a seulement inversé les étapes de glamourisation. D’abord adulé par le commun des mortels comme « free agent » et sans contrat, ensuite repéré par les agences et/ou les médias. Le processus de sélection a changé, mais pourtant le résultat demeure le même : zéro diversité. Même quand on donne l’opportunité aux gens de choisir, ce sont les mêmes corps qui finissent par aboutir dans l’œil public.

La Pinterestation de tout. Le boulot, la bonne santé physique, l’appartement, tout doit pouvoir agrémenter le compte Instagram. Un effort constant à rendre un produit dénué d’imperfection, à vendre le rêve épuré et parfaitement cadré. 

Ceci étant dit, il est vrai que l’admiration pour les vaniteux n’est pas un phénomène nouveau. Paris Hilton a toujours eu son fanclub. Disons plutôt que cette approche est désormais préconisée, clickbait « oblige ». On se déculpabilise plus rapidement d’avoir fait entrer Kylie Jenner dans le quotidien. Les magazines à potins ne sont plus marginaux ni même pointés du doigt; son modèle est repris sans vergogne par les médias généralistes qui encouragent le gossip 24h/7j dans nos réseaux. Ce qui était autrefois l’affaire isolée du douchebag du 450 se veut aujourd’hui celle de tous.

La fusion entre le hipster dernière génération et le douchebag dernière cuvée a bel et bien eu lieu, H & M ayant largement contribué à rendre tout ceci possible. Un genre d’hybride entre le hipster plus esthétique pour une sortie en banlieue et le douchebag plus urbainement acceptable quand il vient voir son concert de Rihanna au Centre Bell.

Voilà pourquoi cette impression si forte et soudaine que le Beachclub n’est plus le lieu de prédilection du douchebag. C’est que, collectivement, nous avons manqué de vigilance, et désormais, c’est tout le monde qui est un douchebag. 

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