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Le Détesteur: comment survivre à un Donald Trump à la tête des USA
Crédit: Johana Laurençon

Nous sommes entrés dans la «wrestling era», ou l’ère de la lutte professionnelle. Désormais, pour saisir le monde dans lequel nous évoluons, il vous faudra assimiler des notions avancées de lutte.

Vous remarquerez qu’on nous parle de plus en plus des Mythologies de Roland Barthes et principalement de son chapitre dédié à l’univers de la lutte (Le monde où l’on catche). Et j’ai bien l’impression qu’on entendra souvent parler de «kayfabe» au cours des prochaines années. Crash course pour les non-initiés : la kayfabe c’est cet accord tacite entre le public et les lutteurs où il est exceptionnellement permis de prendre le public pour un idiot. Le fan consent alors à recevoir la fiction qui lui est présentée comme de la réalité, comme du vrai.

La lutte est ahead of her time d’une bonne décennie et ses fans, ou du moins ses smart fans, sont possiblement pour la plupart persuadés depuis ses premiers jours de campagne que Donald Trump sera le prochain président des USA. Oh et believe me, il le sera.

Donald Trump est très WWE, très kayfabe. Ce qu’il est en train d’accomplir n’a rien d’inhabituel dans l’univers de la lutte et tandis que les grandes victoires de Trump semblent avoir pris la terre entière par surprise, le fan de lutte que je suis se flatte l’égo d’avoir su — sans doute aucun — avant tout le monde.

Je sais depuis longtemps, en fait. Ça fera 20 ans dans quelques jours que je sais qu’un Donald Trump est attendu à la tête des États-Unis.

Le soir du 7 juillet 1996 se déroulait à Daytona Beach le Pay-per-view WCW Bash at the Beach. Et cette soirée-là, Hulk Hogan écrivait le futur malgré lui.

Après une quinzaine d’années à servir de héros aux Américains, Hogan trahissait ses fans en se révélant être le leader d’un nouveau clan de vilains aux côtés des Kevin Nash et Scott Hall : la nWo. Pour s’assurer que son «heel turn» (quand un bon tourne le dos aux fans pour devenir méchant) soit bien limpide et controversé, il s’en est pris sournoisement à son acolyte de toujours, Macho Man Randy Savage. Une pluie de débris provenant d’un public mécontent s’est abattue sur le clan. Du rarement vu.

Les semaines qui ont suivi cet événement se sont avérées prophétiques pour l’époque Donald Trump en cours, 20 ans après. Contre toute attente, la nWo, cette bande de méchants déterminés à renverser l’ordre établi, avait obtenu l’approbation de la foule et gagnait rapidement en expansion. Les «bons» étaient désormais hués et ceux qui cassaient la gueule des gentils; acclamés. Dans un monde manichéen comme celui qu’est la lutte professionnelle (où on prend normalement pour le bon et hurle des bêtises au méchant), il fallut tout repenser. Le compétiteur de l’époque (la WWE) a dû envoyer aux ordures le vétuste modèle de la gentillesse applaudie pour faire de ses nouveaux méchants les héros de la compagnie. De là sont apparus les D-Generation X ou encore les Stone Cold Steve Austin.

Le mot d’ordre : Adieu les règles. Fuck le décorum, fuck le beige. On veut des badass.

Les trahisons et les coups bas sont depuis et jusqu’à ce jour préconisés par la crowd. On ne veut plus rien savoir des gentils qui agissent convenablement. Parlez-en à Roman Reigns et John Cena, tous les deux mis de l’avant par les dirigeants pour devenir les héros de leur génération, mais constamment rejetés énergiquement par la foule.

La lutte permet un recul par rapport à la société, elle octroie au fan une intelligence émotionnelle hors pair et empreinte de nuances en le laissant se ranger derrière les traîtres, les menteurs, les démagogues et les briseurs de règles dans un contexte où la fiction se fait passer pour la réalité.

Oui, les démagogues. Les lutteurs sont d’excellents démago. En acceptant de nous laisser naïvement et délibérément charmer par ceux-ci, nous sommes en mesure de mieux comprendre les mécanismes intrinsèques de la démagogie et les effets qu’ils peuvent avoir sur nous. À court et à long terme. À force de nager dedans, on en développe une expertise certaine.

Anecdote à part : ça nous prend bien plus qu’une chronique de Richard Martineau pour nous faire perdre notre calme, disons. À l’opposé, nous avons curieusement décelé du côté des non-adeptes de lutte cette non-capacité à contenir son calme.

Mais surtout, nous savons comment contrer les démago beaucoup trop badass pour la ligue, ayant grandi avec des Donald Trump bien musclés pour modèles. Ou du moins, nous savons ce qu’il ne faut absolument PAS faire, à moins d’avoir envie de leur donner davantage de puissance.

Quand Steve Austin assaillait son patron de bière, de coups de chaise et de Stone Cold Stunners (sa prise de finition), croyez-vous vraiment que le héros du moment était le bienveillant dude qui pointait au public combien Steve Austin n’était pas une gentille personne de s’en prendre comme ça à son patron avec une chaise? Bin non. Les héros, ce sont les badass. Ceux pour qui aucune règle ne tient. Pour contrer un Steve Austin, il te faut lui envoyer un autre encore plus badass que lui et qui respecte encore moins le décorum. Un loose cannon encore plus solide que le précédent et pas l’esti de rabat-joie qui scande LA GUERRE LA GUERRE C’EST PAS UNE RAISON POUR SE FAIRE MAL.

Pourtant, les experts du monde entier concentrent tous les efforts de la galaxie à faire précisément ce que le fan de lutte lui déconseillerait avec toute l’énergie de son âme. C’est pour ça que Trump deviendra le président des USA. Inévitable. La vraie vie crave pour son heel turn de Hulk Hogan, pour sa nWo, sa D-Generation et son Steve Austin. Le monde doit essayer Donald Trump au moins une fois, quitte à ce qu’il le mène à sa propre perte.

De plus en plus, la wrestling era met au monde ses figures de proue et pas rien que Trump. Dan Bilzerian en fait partie. Richard Martineau, Sophie Durocher, Martin Shkreli, aussi. L’État islamique, même, qui n’obéit à rien de ce que l’on connaît et ne cesse de nous prendre au dépourvu. On peut également ressentir ses effets dans le clickbait des blogues à sensation où on a crissé aux poubelles la rigueur et les bonnes manières.

L’ère de la lutte professionnelle met de l’avant les gens qui n’en ont rien du tout à fiche des décorums. 

Il faut comprendre que l’ignorance, l’insignifiance et l’intolérance ne viennent plus avec les conséquences d’autrefois. Internet leur permet désormais d’exister en toute impunité. Comme à la lutte. On ne peut plus espérer comme avant que le karma et le gros bon sens rattrapent les Trump et les Shkreli. Ils continueront de sévir et d’être adulés tant que personne n’arrivera à leur arracher la ceinture de champion du monde des mains. Et pour ce faire, il faut se réinventer, repenser notre approche de manière complètement différente et nouvelle. Se mettre à la place de Vince McMahon (WWE) et d’Eric Bischoff (WCW/nWo). Aborder notre monde avec la naïveté délibérée d’un fan de lutte.

Si Warhol a prédit qu’un jour tout le monde connaîtrait ses 15 minutes de gloire, la lutte, quant à elle, a déterminé dans quel contexte ça se produirait. Nous y sommes.

Donald Trump comme président des USA est un passage obligé. Il est déjà trop tard. Les journalistes visiblement trop orgueilleux ont tant voulu s’entêter à ne pas sortir de leur vieux crisse de cadre décrépit que maintenant nous en payerons tous les frais. Ils ont dressé le portrait précis d’un Trump complètement badass et fièrement insignifiant, celui-là même que Trump cherchait à nous vendre. Bien joué. Le rêve de tous les lutteurs.

Pour mieux comprendre ce qui nous attend et comment survivre à la tempête qui s’apprête à nous tomber sur la tête, il nous faut nous tourner vers la lutte. Les réponses y sont.

Si Hulk Hogan est un prophète, le fan de lutte, quant à lui, sauvera le monde.