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Critique de « The Lobster »: l’amour au temps du célibat interdit
Crédit: Capture d'écran Youtube
L'amour est pervers. Et malgré toutes les démarches entreprises pour comprendre ce tissu d'attraction, il n'y a pas de science exacte pour saisir ce qui nous motive à être en couple. En revanche, c'est facile d'oublier dans le contexte de l'ère numérique, où les prétendants sont « marchandisés » par un programme qui compile leurs préférences, désirs, habitudes et choix de vie en un seul profil, tous avec l'espoir qu'ils vont être jumelés à une personne similaire. Mais cela ne résout rien; c’est seulement un début, très faible à part de ça, mais nous voici quand même à « swiper » de droite à gauche en espérant rapidement un avenir.

C’est en partie ce que les films idiosyncrasiques du réalisateur grec Yorgos Lanthimos critiquent dans les constructions sociales qui étouffent et pervertissent les interactions humaines. En mettant à nu ces structures d’hypocrisies inhérentes, les œuvres du cinéaste exagèrent leur logique par l’absurde, avec des ramifications nocives de conformité. Par exemple, son film Dogtooth (2009) a éviscéré la représentation de la famille moderne, en la figurant comme l’emblème d’une oppression normative de la société. Dans son plus récent long métrage, lauréat du prix de jury au dernier Festival de Cannes, The Lobster explore par de rigides préconceptions les relations interpersonnelles.

Dans un futur proche dystopique, le film a lieu dans une société qui se rapproche étrangement de la nôtre. La différence notable est que le célibat est strictement illégal. Ceux qui sont incapables de trouver un partenaire ont le choix d’aller à l’« hôtel » où ils ont 45 jours pour « tomber en amour » avec l’un des autres résidents. Si elles échouent, ces personnes sont transformées en l’animal de leur choix et relâchées dans la nature. Mis à part l’institution zoologique, il y a les « bois » qui sont peuplés par les « Solitaires », une communauté de rebelles dirigée par leur chef barbare ( Léa Seydoux ), qui vivent fièrement le célibat et qui interdisent les relations sexuelles. Les détenus de l’hôtel partent quotidiennement à la chasse, en espérant obtenir une journée supplémentaire, pour chaque solitaire qu’ils ramènent à la résidence.Crédit Photo: Metropole FilmsTwitter

 

Le bonheur forcé

Le long métrage, partagé entre l'hôtel et les bois, raconte le destin de David ( Colin Farrell, méconnaissable dans ce rôle) qui est laissé par sa femme en début de récit. À l'hôtel, il doit cocher son orientation sexuelle ( « l'option bisexuelle n'est plus disponible »), puis il doit respecter un code vestimentaire, éviter la masturbation, assister à des séminaires sur les avantages de la vie de couple et une longue liste de règlements, tous strictement obligatoires, dans le but de trouver une conjointe qui rejoint ses ressemblances. En d'autres termes, l'hôtel fonctionne comme une géante application vivante similaire à tinder ( dans une scène, un personnage va même jusqu'à crier « Nous sommes un match! » ).

Dans la première moitié, le réalisateur affiche sa singularité de créer des microcosmes enrégimentés à travers lequel il libère sa satire cinglante. Lanthimos présente l'hôtel d'une manière qui rappelle l'Overlook dans The Shining (1980). L'immeuble est perché au sommet d'une imposante falaise avec des couloirs curieusement symétriques. De plus, l'impression est renforcée par la bande sonore qui évoque Stanley Kubrick. Cette dimension ajoute une touche d'horreur qui est ponctuée par des détonations de violence extrême, complétant délicieusement le comique acerbe de l'œuvre.
Par contre, le film perd quelque peu sa verve lorsque David échappe l'hôtel et rejoint les Solitaires. Leur système d'opposition est encore plus draconien, suggérant quand il est question de conformité, que les deux extrémités du spectre sont au même niveau malsain malgré leurs idéologies diamétralement opposées. Après quelques longueurs, le fil narratif se déploie finalement lorsque la romance entre David et une autre solitaire, interprétée par l'excellente Rachel Weisz, se développe, toujours avec son humour pince-sans-rire. Le cinéaste garde le meilleur pour la fin avec la passion du couple qui est amené à son point d'orgue dans une conclusion ambiguë très satisfaisante dans tout son cynisme.

Aussi bizarre et ambitieux que cela puisse paraître, The Lobster est un goût à acquérir — mais pour les curieux qui ont la détermination de percer les sensibilités excentriques de Yorgos Lanthimos, cette satire sociale se révèle être un régal cinématographique.
 

The Lobster
En salle dès le 25 mars
 

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