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Le cinéma engagé et audacieux célébré au Festival du film de Berlin!
Crédit: «P.S. Jerusalem» de la Montréalaise Danae Elon

«Nous sommes tous Africains.» Voilà la citation contestée ayant donné le ton à ce 66e Festival international du film de Berlin. Prononcée par Meryl Streep, présidente du jury, en réponse à une question d’un journaliste égyptien, qui se demandait si elle pouvait comprendre les réalités mises en images par des artistes du Moyen-Orient ou de l’Afrique du Nord. Plus que tout autre festival auquel j’ai déjà eu la chance d’assister, la Berlinale accorde une très large place aux enjeux éthiques, humanitaires et politiques de notre époque. Deux preuves à l’appui? L’Ours d’or avait été remporté en 2015 par le cinéaste iranien dissident Jafar Panahi, pour son documentaire Taxi Tehran, tourné dans le plus grand des secrets. Cette fois, la plus grande distinction a été remise sans surprise à Fuocoammare de l’Italien Gianfranco Rosi, documentaire se penchant sur le sort de migrants arrivant au port de Lampedusa dans des conditions exécrables. Dans le contexte d’un pays – en l’occurrence l’Allemagne – qui peine à composer avec plus d’un million de demandeurs d’asile arrivés en l’espace d’un an, le sujet ne pouvait pas mieux tomber.
 
Autre constat? L’importante présence de la délégation canadienne (surtout québécoise) sur les nombreux écrans de la capitale allemande. Il y avait tout d’abord Boris sans Béatrice, le dernier Denis Côté présenté en compétition officielle, ainsi qu’Avant les rues, dont nous te parlions la semaine dernière. Mais il ne faudrait passer sous le silence Vaysha l’aveugle, le sublime court-métrage d’animation de Theodore Ushev, narré par Caroline Dhavernas. L’histoire de cette jeune Vaysha, qui ne voit que dans le passé avec un œil, et que vers l’avenir de l’autre, se veut une invitation exaltée à vivre pleinement selon les préceptes du «carpe diem». Et que dire de ce troublant (et non moins fascinant) How Heavy This Hammer du jeune Torontois Kazik Radwanski, qui en était déjà à sa 4e participation en autant d’années à la Berlinale. Un portrait carrément étouffant d’Erwin, père de famille amorphe et absent qui est à son plus heureux lorsqu’on lui fout la paix et qu’il se tape des heures d’affilée branché devant son foutu jeu de Vikings en guerre. La crise de la quarantaine ne nous est rarement apparue aussi accablante et sans issue.  
 
Cela dit, notre film canadien coup de cœur du festival est un portrait familial déchirant que nous avions manqué aux RIDM: P.S. Jerusalem de la Montréalaise Danae Elon. Lorsque nous avons rencontré cette sympathique cinéaste à l’ambassade canadienne de Berlin, elle a résumé ainsi son approche à la création: « Il ne vaut pas la peine de faire un film si tu ne prends pas de risques. En tant que réalisatrice, c’est mon devoir de prendre des chemins que d’autres n’emprunteraient pas en temps normal. » Sur ces si jolis mots, voici quelques longs métrages parmi les plus mémorables de cette Berlinale – des propositions d’avant-garde, de haute voltige ou tout simplement courageuses dont vous entendrez beaucoup parler cette année.
 
Las Plantas
(Chili)

Dans ce film naviguant avec grâce entre conscient et subconscient, entre réalité et fantasme, la jeune Florencia (Violeta Castillo) devient temporairement l’aide-soignante de son frère aîné, qui existe dans un état végétatif permanent, bien qu’elle garde toujours espoir qu’il se réveille un jour. Cette grande fan de bandes dessinées s’intéresse à une série intitulée Las Plantas, à propos de plantes qui prennent les rênes d'âmes humaines le temps d'une nuit de sommeil. Hantée par un lot d’inquiétudes et de désirs, Florencia explore aussi sa sexualité en invitant des hommes rencontrés sur Internet à se dévêtir devant la fenêtre de son vestibule. Un regard empreint de poésie et d’ambiguïté à propos d’une adolescente vraiment maline, en plein contrôle de son passage vers l'âge adulte.
 
P.S. Jerusalem
(Canada)

Difficile d’aborder l’insurmontable conflit israélo-palestinien sans sombrer dans toute une pléiade de clichés artistiques et politiques. C’est pourtant ce que réussit Danae Elon avec énormément de sensibilité et d’audace dans cette chronique autobiographique fort éloquente. Pendant trois ans, Elon a filmé son mari et ses deux jeunes garçons, qui l’appuient et l’accompagnent dans sa décision de vouloir retourner vivre dans sa ville natale de Jérusalem. Les défis d’intégration auxquels ses trois hommes devront faire face suite à leur départ de Brooklyn sont abordés de front, tout comme la notion de transmission d’une identité à sa géniture, et les considérations éthiques d’impliquer ses propres enfants à un projet intrusif d'aussi grande envergure. Le résultat final justifie amplement les moyens. 
 
Kate Plays Christine
(États-Unis)

À Sundance cette année, deux films abordaient le même fait divers très sinistre et peu connu: l’histoire de Christine Chubbuck, une présentatrice de nouvelles de 29 ans qui s’est enlevé la vie en direct et de façon plus que spectaculaire en 1974. Kate Plays Christine, du documentariste Robert Greene (Actress), c’est celui des deux qui expérimente le plus avec les codes narratifs. Le film se veut à la fois un documentaire à propos de Kate Lyn Sheil (House of Cards), l’actrice qui part à la rencontre de gens à Sarasota en Floride qui pourraient l’aiguiller à l’égard de la journaliste disparue. Mais le film comporte aussi des scènes carrément inventées ou reconstituées, propres à un univers de «camp», à commencer par la perruque tout droit sortie d’une Fripe-Prix Renaissance que porte Kate dans ces scènes un brin absurdes (du mauvais Unsolved Mysteries, mettons). Une étude profonde et passionnante sur la représentation d’autrui, la place accordée aux femmes devant la caméra et le caractère très éphémère de la nouvelle. « Qui se souvient des grands titres d’hier? » demande un ancien chef d’antenne et collègue de Christine à Kate…
 
Curumim
(Brésil)


Ce puissant plaidoyer contre la peine de mort fait un retour sur la vie de Marco «Curumim» Archer, un Brésilien arrêté avec 13,5 kg de cocaïne en sa possession à l’aéroport de Jakarta en 2004. L’an dernier, soit 11 ans plus tard, il a été condamné à mort pour trafic de drogues par le gouvernement très intransigeant de Joko Widodo. Avant de mourir, Curumim a fait appel au réalisateur Marcos Prado afin que son histoire puisse servir de mise en garde pour les générations futures. Un portrait éclairé et juste d’un homme narcissique et parfois carrément antipathique, qu’on reconnaît toutefois comme une âme égarée qui ne méritait en rien une fin aussi atroce… Prado inclut plusieurs extraits de clips tournés par Curumim lui-même en toute discrétion dans la prison à sécurité maximale – des images qui témoignent de la négligence aberrante du gouvernement indonésien à l’égard de prisonniers rongés par la peur, qui attendent de mourir…

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