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Le Détesteur: sale télévision raciste
Crédit: Johana Laurençon

Quand j'étais enfant, mon école primaire, comme la plupart des écoles, organisait une sortie de fin d'année. La mienne étant située dans mon Pointe-Calumet natal, c'est au Super Aqua Club (parc aquatique aujourd'hui voisin du Beach Club) que nos professeurs avaient pour rituel de nous amener, histoire de donner un bon gros coup d'envoi aux bien méritées vacances estivales.

La première fois, j'ai 6 ans et je suis blanc. Mes amis, leurs parents et les professeurs le sont pas mal aussi. Tout le monde blanc. Le Super Aqua Club à ce moment de l'année n'est pas encore ouvert au public; il réserve ses glissades exceptionnellement aux écoles secondaires et primaires en sortie de fin d'année.

Le parc aquatique ayant élu domicile sur une rue très blanche dans une banlieue très blanche accueille alors sur son site des écoles de villes voisines comme des écoles de la métropole.

L'enfant blanc que j'étais espérait qu'on lui parle un peu de ces intrigants petits copains dont l'apparence et la langue semblaient provenir d'ailleurs. De Montréal, qu'on me disait. Ils venaient de Montréal. Ah oui? C'est si loin, Montréal. Plus tard j'ai compris que Montréal n'était qu'à 45 minutes en voiture et que finalement elle n'était pas si loin. J'ai compris aussi qu'on avait voulu me protéger de Montréal, m'empêcher d'en connaître davantage sur ces amis avec qui j'aurais souhaité échanger.

Comment se faisait-il que sur les chaînes de télévision franco-queb on ne me les présentait jamais ces enfants-là et leurs parents? Je n’étais peut-être encore qu’un bambin mais je n’appréciais pas qu’on me prenne pour un idiot. À trois minutes de chez moi sur ma rue très blanche de banlieue très blanche il y avait durant tout l’été ces enfants de nationalités autres que la mienne qu’on cherchait d’ordinaire à me cacher, qui s’amusaient sans faire de mal à personne. Qui aimaient comme moi j’aime.

Et puis, en marge d’un Super Aqua Club qui prenait des airs d’un microcosme multiethnique à l’intérieur même d’une blanche banlieue, la vie poursuivait son cours sur ma rue très blanche dans un village très blanc tout comme le spectacle ne connaissait aucun répit dans ma très blanche télévision. Comme si ces enfants et leurs parents que je savais n’avaient jamais existé. Le blanc se confortait dans sa blancheur monolithique malgré qu’à deux pas de chez lui un certain parc aquatique semblait vouloir hurler dans ses oreilles aussi pâles que sa peau qu’il y avait autre chose que le blanc.

La télé qui se voulait de la même couleur que ma banlieue refusait elle aussi de satisfaire l’inassouvissable soif de curieux d’un enfant mystifié par la différence. La sale télé raciste faisait sans doute l’affaire des peureux et des paresseux tandis que les plus honnêtes, les consciences accrues, allaient devoir un jour ou l’autre prendre conscience de leur white privilège. Vivre avec l’immense imposture qu’aura été le début de leurs vies.

Après tout, c’est moi qui devrai dealer avec ces mensonges tôt ou tard, que je me disais. Qui devrai composer avec les amis blancs qu’on a prématurément privés d’ouverture et de curiosité, qui devrai partir voir si ailleurs tout est blanc comme on me l’a si souvent insidieusement montré. Qui devrai réapprendre à regarder le monde avec des yeux autres que ceux qu’on a, sans que j’aie consenti, vissés de force à mon visage. Tout allait être à recommencer, toutes les vieilles idées à déboulonner. Les peurs à soigner. Les intolérances à constamment reprendre et corriger.

Un clash des cultures qui aurait pu facilement être atténué si seulement la télé avait voulu se montrer plus honnête, plus représentative. Je lui en veux.

Quand une opportunité d’entretien à la radio se présente, on me demande de sélectionner une chanson de mon choix, qui sera diffusée au cours de l’émission. J’en profite alors pour soumettre un truc hip-hop issu d’une réalité qu’on tente trop souvent de maquiller, de balayer sous le divan, de rendre propre ou de remettre à plus tard. Une réalité qui m’échappe, qui n’est pas mienne. Un truc qui vient d’ici pourtant, qui vient de la rue. À chaque fois c’est pareil: «J’ai rien contre le rap, mais t’aurais pas de quoi de plus festif, de plus joyeux, de plus positif? L’Assemblée, par exemple?»

Tu veux dire: quelque chose de plus blanc? C’est bien ce que tu veux dire, oui.

Qu’importe où je me trouve, je marche toujours sur des œufs quand vient le temps de vendre ce type de rap. Si la violence et la drogue sont inhérentes aux milieux défavorisés alors pourquoi n’avons-nous jamais laissé les rappeurs nous en dresser un portrait saisissant? Pourquoi au début des années 2000s Musique Plus a-t-elle diminué la diffusion de clips comme ceux de King ou Connaisseur sur ses ondes au profit de rappeurs beaucoup plus blancs et ludiques? 

Voilà ce qu’est le white privilège. Vouloir tout rendre blanc et se fermer les yeux sur ce que nous ne sommes pas. Voilà ce que nous a inculqué de force la télé.

La sale télé raciste.

Je suis blanc et je reconnais mon privilège. 

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