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Le Détesteur: l’amour au temps des guides pour apprendre à vivre en couple
Crédit: Johana Laurençon

Télé-Québec rendait dispo cette semaine sur son site web le docu en deux parties L'amour au temps du numérique qui traite entre autres de la désillusion des jeunes gens face à l'amour.

En couple depuis huit ans et par l'entremise d'un site de rencontre, j'ai pu assister au commencement de cette grande désillusion alors que ma génération fut le premier cobaye de l'amour au temps du numérique.

Chronique qui traite d'amour et de désillusions. Allons-y.

Ouf qu'il est réjouissant d'observer le bilan catastrophique de la vie amoureuse des gens qui t'ont si souvent observé comme si t'appartenais à un type d'extra-terrestre nouvellement débarqué sur terre et à qui on n'aurait pas fourni le manuel des choses que le couple doit faire absolument pour assurer sa réussite.

C'est vrai, la planète entière est mieux adulte que toi, à l'écouter te shamer d'avoir pris ton temps à des étapes jugées fondamentales et levé le nez sur des règles pourtant dites universelles.

On arrive même à te convaincre, provisoirement, que tu t'y prends de la mauvaise manière. Tout le monde semble suivre un plan à la lettre et fait en sorte que tout arrive si urgemment. Mais quel esti de weirdo j'étais de ne pas avoir emménagé avec la copine au bout d'une année entière de relation amoureuse. Et la distance. J'habitais à ce moment en banlieue et elle à Montréal. Man, la distance, elle nous donnait droit à l'inépuisable et sempiternelle question: «MAIS COMMENT VOUS FAITES?».

Et pourquoi n'étions-nous pas de toutes les activités de couples? C'est donc bin inusité, ça. C'est quoi cette façon étrange de jouer à l'amour? «Pourquoi n'êtes-vous pas capables de faire comme tout le monde?»

Tout le monde sait mieux. Tout le monde est là à inspecter chacune de tes décisions, à te soupirer au visage quand tu n'abordes pas les choses à sa manière, tout le monde se moque, tout le monde cherche à te prendre par la main, à t'infantiliser: pauvre toi, on ne t'a pas appris comment aimer selon le manuel. Tout le monde sait mieux, parce que tout le monde l'a en sa possession, l'esti de manuel.

Et la vérité c'est que tout le monde ne sait rien du tout. Et pire encore, tout le monde ne cesse d'échouer lamentablement.

Ça fera huit ans cette semaine que je suis en couple avec ma copine. On a tout entendu ce qu'il nous fallait entendre ou non, en ce qui concerne la vie de couple. Tout le monde, à un moment ou un autre de notre relation s'est octroyé la permission d'y aller de quelques conseils paternalistes, de porter un jugement ou deux sur notre façon de procéder. Ils sont si adorables de te balancer tout ça avec une assurance aussi déconcertante. On s'explique mal encore d'ailleurs d'où the fuck peuvent bien provenir toutes ces certitudes, étant donné qu'ils n'ont jamais manqué de prouver combien leur vie amoureuse est un total désastre.

Mais hey, ce n'est certainement pas un désastre qui allait les stopper. Huit ans de vie de couple plus tard, la trentaine: qu'est-ce qu'on attend pour avoir des enfants? Et l'auto? Allons-nous faire recharger la carte OPUS à chaque fin de mois pendant toute une vie?

Tellement mignons. Tellement sûrs d'eux. Et pourtant toujours aussi désastreux. Bon ok, avec l'âge ils arrivent à entretenir des relations qui durent presque 8 mois, maintenant. SO CUTE.

On les regarde, tour à tour, sévèrement se planter. Jouer les adultes. Si prévisibles. Emménager ensemble après deux semaines seulement. Devoir endurer l'ex jusqu'à la fin du bail. Tomber cette fois sur LA bonne personne et emménager avec elle avant la fin de l'autre bail. Oups, forcé de cohabiter avec jusqu'à la fin du nouveau bail: pas la bonne finalement. 

Le problème aussi, c'est peut-être le bon vieux manuel. J'imagine qu'il est rassurant pour eux de faire les choses comme tout le monde l'entend, qu'ils arrivent à se convaincre que l'échec est moins lourd à porter si les règles à suivre sont mathématiquement respectées dans l'ordre, que si ça ne fonctionne pas, c'est forcément que l'autre ne fait pas comme c'est indiqué dans le manuel. 

Le lutteur Mick Foley lançait sur son compte Facebook cette semaine une pensée intéressante: «Il y a une différence entre jouer pour gagner et jouer pour ne pas perdre.»

C'est exactement ça. Tout le monde joue pour ne pas perdre et préfère la manière sûre plutôt que d'avoir à opter pour l'incertaine spontanéité. 

Ma copine n'est pas LA bonne. C'est celle avec qui j'ai fait un long bout de chemin. Remarque, c'est peut-être la bonne aussi, mais ce qu'il faut entendre ici c'est qu'il n'est pas urgent de le déterminer maintenant, même après huit ans. Who cares, sérieusement? Visiblement tout le monde. On ne fait pas les choses mieux que les autres et ni de la bonne manière: on les fait de façon à ce qu'aucun de nous deux ne se sente lésé. On habite ensemble depuis seulement trois ans et les gens capotent quand on leur apprend. On communique beaucoup et fort, les objets revolent parfois, mais jamais nous n'hésitons à nous rendre vulnérables pour l'autre, à mettre l'orgueil de côté. 

À chercher à comprendre plutôt qu'à passer directement à l'autre appel. 

Mais au final, on est certains de rien, à part peut-être qu'on a envie que ça continue un peu. C'est la certitude qui tue vos couples au bout de trois mois. Nous, on ne sait rien. 

Les manuels, c'est pour les robots. L'amour, ce n'est pas des mathématiques. 

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