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Le Détesteur: opter pour Lena Dunham plutôt que Kylie Jenner
Crédit: Fabienne Legault

L'année tire à sa fin et, peut-être que la trentaine a un petit quelque chose à y voir, mais je ne me suis jamais aussi senti intimidé par la beauté des gens que je croise dans la rue qu'en 2015. C'est violent.

Tu me diras qu'ils ont toujours été là pourtant, alors qu'est-ce qui a changé? Ils sont, tous, à deux clics d'être la prochaine sensation du web. Voilà ce qui a changé. Des Kylie Jenner et Justin Bieber qui savent ce qu'ils ont à faire si demain matin ils ont envie que ça décolle.

Ce n'est pas seulement ça. D'un côté, on lutte contre les diktats de la beauté, on s'indigne des standards inatteignables des covers de magazines et on arrache nos chemises devant le manque de diversité dans l'industrie du film, de la beauté et de la mode. Tandis que de l'autre, personne ne semble vouloir faire d'efforts véritables dans son propre quotidien, maintenant qu'on a le choix, plus que jamais.

C'est peut-être ça qui m'intimide, au fond. Le choix. De savoir qu'une fois délivrée du joug hollywoodien, une personne qui n'a ni télé, ni n'achète des magazines préférera malgré tout une Jennifer Lawrence «qui dit des choses que les belles filles ne disent pas habituellement», plutôt qu'une Lena Dunham légèrement enrobée qui exhibe seins et bourrelets dans la série Girls. D'observer ces femmes, souvent même féministes, l'une après l'autre scander au monde entier comme une vérité universelle qu'il est primordial pour l'homme qu'il soit grand, pas trop menu et pas tant vulnérable.

D'un côté, on nous rassure: la taille du pénis n'a pas d'importance, et si oui, prière de ne pas se comparer à ce qu'on nous montre sur PornHub; ces gars-là sont de sales monstres entraînés par l'armée. De l'autre, on manque rarement de faire circuler l'info si la longueur de l'engin d'un pauvre dude loge en dessous de la moyenne ou pire encore si sa perfo au lit se voulait médiocre.

Je suis peut-être seulement un brin nostalgique du temps où nos voix, toutes nos voix, s'unissaient contre un ennemi commun, l'immuable tyrannie de l'improbable beauté photoshoppée. On pouvait se dire au moins qu'avant de nous être présentés, ces corps avaient été turbo-modifiés de manière à les rendre quasi inhumains; que les mannequins se privaient de quelques repas et s'empressaient de les rejeter pour atteindre l'impossible. Avec le temps, c'est devenu clair que personne ne pouvait rivaliser et il y avait peut-être bien quelque chose de rassurant, là-dedans.

Maintenant que nous avons nos Youtubers, nos blogueurs et vedettes d'Instagram et que nous les avons élu-e-s, j'ai l'impression qu'on a fini par reproduire systématiquement les horreurs de l'industrie qu'on s'affaire à décrier en parallèle. Regardez les nouveaux visages qu'on a bien voulu élever au rang de stars combien pour la plupart sont grands, sveltes, beaux, comme sur les covers de magazines.

Bien que le standard s'accorde cette fois plutôt bien avec la réalité (sans photoshop), je me demande: ne sommes-nous pas en train de favoriser une portion physiquement privilégiée de la société aux dépens des autres? Maintenant que nous avons aboli le mur qui établissait les distances entre les vedettes et nous, celui qui permettait de rêver à l'inatteignable, que faisons-nous de l'atteignable? Une fois l'atteignable atteint, le danger ne réside-t-il donc pas dans le mimétisme, lorsque l'atteignable emprunte de vieilles manies à l'inatteignable?

La gloire n'est désormais plus exclusive aux gens qui s'enfoncent le doigt dans la gorge pour y accéder — et c'est tant mieux — mais en quelque sorte maintenant nous sommes tous l'un de l'autre rivaux. Les vedettes, c'est nous. Nous nous choisissons et nous optons pour les plus belles. Mettons que ça fait un tout p'tit peu plus mal que si c'était l'industrie qui les avait choisies pour nous.

Il reste encore beaucoup de travail à faire, mais voilà, pour le moment les belles personnes que je croise dans le métro m'intimident pas mal plus que les vedettes de la télé, comme elles sont plutôt nombreuses et rivalisent directement avec moi. Avec nous tous.

Espérons que les gens finiront par fournir l'effort pour de vrai. Choisissons la diversité. 

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