Aller au contenu
Le Détesteur: quand Steve décide de péter sa coche sur un cycliste qui n’est pas en faute…
Crédit: Fabienne Legault

Il y avait cet homme, backindadays, dont la réputation trouvait écho jusque dans les villes voisines. Faux nom pour assurer son anonymat: Claude. Claude c'est ce dude qui inventait les règles au fur et à mesure que des obstacles s'opposaient à son confort immédiat. Par exemple, il aurait très bien pu décider que les cyclistes n'avaient pas à circuler sur la même route que lui, comme c'est à la mode de le croire dernièrement. 

Il arrivait qu'à partir de ses propres codes fraîchement élaborés dans l'ivresse de ses caprices enfantins, Claude sévisse contre les «dissidents», comme ça, pour assouvir sa haine des «pas comme lui». Une fois, il a délibérément renversé un adolescent moqueur en appuyant avec rage sur l'accélérateur de son auto après lui avoir agressivement ordonné de se tasser du chemin, ordre auquel avait refusé de s'assujettir le jeune homme. Une autre fois, le chien jappeur d'un voisin avait été retrouvé sans vie, empoisonné à ce qu'on disait, et tout le monde était persuadé que c'était Claude, comme il avait déjà juré qu'il finirait par le faire quand il en aurait eu assez de lui. 

Par dessus tout ça, Claude était ouvertement raciste, homophobe et ne se gênait jamais pour en faire la démonstration en public.

On connaissait bien ses méfaits mais ne les désapprouvait pas pour autant. L'avoir de notre bord, c'est pas mal tout ce qui importait à ce moment. On se contentait de dire de lui: «Haha, esti d'Claude, pareil! Méchant malade, ça!». 

Esti de Claude, pareil. Cette sentence est universellement reconnue pour être interprétée ainsi: «Wow! Il a tellement peur de rien, Claude! C'est pas moi qui aurais fait ça, mais j'irai pas me plaindre qu'il le fasse à notre place! C'est comme ça qu'on l'aime!». 

Ça fait qu'on le laissait faire, parce qu'au fond, ça faisait bin l'affaire de tout le monde de le voir se rendre justice lui-même chaque fois qu'un voisin osait cogner du marteau passé 21h, même si oui, on le savait dans le tort. Mais Claude, c'était le goon du village et on obéissait plus à lui qu'on obéissait à l'État. 

Pis j'me dis que tsé, quand les enjeux sociaux t'apparaissent comme insurmontablement complexes, j'imagine que tu te retournes vers des gars comme Claude, ministre de la bonne vieille justice populaire, parce que lui, il te règle ça sans tarder les petits bobos insignifiants qui te sont faciles à comprendre. 

Alors Claude se sentait encouragé et frappait de plus belle. 

Aujourd'hui, Claude ne dispose pas d'un téléphone intelligent avec caméra et réseau 3G. Heureusement. Mais les gens comme lui, les bougonneux aux gros bras, qui passent par dessus les lois pour établir les leurs, il y en a tout plein sur le web.  

Le week-end dernier, c'est Steve qui a fait jaser de lui, parce que Steve, quand il croise sur la route un cycliste qui ralentit son élan ne serait-ce que d'une quarantaine de secondes, il sort son téléphone pis nous prévient en hurlant, fâché, intimidant, qu'à l'avenir, ses propres lois devront sans faute être respectées PARCE QUE LÀ ÇA VA FAIRE. Au moment d'écrire ce texte, il avait supprimé sa vidéo qui avait été vue par plus de 500 000 personnes en une fin de semaine seulement.  

Au printemps dernier, ce même Steve nous servait un discours à caractère xénophobe de 6 minutes dans lequel il s'emportait sur un chauffeur d'autobus d'une autre nationalité que la sienne: «[…] du pays où qu'tu viens là, tu dois chauffer des chameaux. C'est ça tu dois faire, chauffer des chameaux. Mais écoute-moi bin mon camel jockey: toé dans ton pays là, si tu bats ta femme ou tu bats les enfants ou tu t'câlisses de tout ou t'es un esti d'kamikaze, viens pas faire ça chez nous, as-tu compris?».

Cette vidéo a été partagée 239 fois.

À l'instar de Claude, Steve est une brute qui n'en fait qu'à sa tête, à la différence que Steve possède une caméra et un réseau 3G. Quand Claude sévissait, il ne le faisait pas devant plus de 500 000 personnes. Alors que Steve, c'est par milliers qu'on l'encourage, lui fait les éloges, l'implore de poursuivre dans cette direction. Et probablement que d'autres emboîteront le pas.

Esti de Steve, pareil! Méchant malade, ça!