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Le Détesteur: ces Roosh V que nous côtoyons tous les jours

Avec l'abondance de propos injurieux, de male tears, de fortes réactions, de mépris, de mauvaise foi, de négation obstinée et de réfutations colériques et systématiques qu'il nous est possible de lire et d'entendre un peu partout, depuis 2012, à chaque fois que la culture du viol est évoquée ou qu'une revendication féministe se fraie un chemin jusqu'à la sphère publique, je dois reconnaître avoir été un brin étonné de constater que personne — pas même le plus féroce des antiféministes — ne se soit porté à la défense de Roosh V, controversé blogueur américain qui n'a pas connu le plus reposant des week-ends lors de son passage à Montréal.

Remarque, c'est tant mieux. Au premier abord, c'est rassurant, même. Au premier abord, oui. Parce qu'aussitôt qu'on s'intéresse au personnage, on fait vite de réaliser qu'il a quand même beaucoup en commun avec les gens qui s'empressent de Ronda Rousey leurs claviers dès qu'une femme ose aborder un enjeu féministe quelconque. Ce qui, à mon avis, a pu contribuer à cette écrasante unanimité est la manière dont a été dépeint l'autoproclamé pick-up artist: un monstre, un homme qui cherche à faire légaliser le viol; on comprend alors qu'il pourrait tirer profit d'un tel changement législatif pour pouvoir perpétrer en toute impunité un odieux crime qui n'en serait plus un. 

Qui d'autre qu'un monstre prendrait le risque d'en défendre un autre? C'est ça. Il est préférable pour tout le monde de ne pas toucher à ça. Roosh V est sale, répugnant et on ne s'aventure pas sur ce terrain-là. Le truc, c'est que son idée de rendre légal le viol, il la justifie: nulle part il ne fait mention qu'il s'en servirait pour pouvoir agresser avec la conscience tranquille. C'est pour défendre les femmes contre elles-mêmes, qu'il prétend; pour éviter que des hommes soient victimes de fausses allégations. En gros, il cherche à responsabiliser les femmes — qu'il juge imprudentes — de leurs propres agressions et au passage il en profite pour nier la plupart des témoignages des survivantes — qu'il traite de menteuses — qui trouvent le courage de briser le silence. Mais a-t-il seulement jeté un oeil sur le percutant reportage du NY Mag qui donne la parole aux victimes de Cosby qu'on a trop longtemps réduites au silence?

C'est ça, Roosh V. On se rapproche déjà plus des centaines de commentaires fortement empreints d'ignorance qu'on peut lire ici et là sur les médias sociaux, right? Roosh V, c'est ce troll énervé sous nos publications, à l'exception que lui, il en a fait son gagne-pain. À l'instar des antiféministes assumés, on l'imagine très bien se payer des entières nuits blanches sur Google à essayer d'avoir réponse à une question qui — on le devine sans problème — l'empêche de dormir: «Why do feminists hate nice guys?», alors qu'il ne s'est probablement jamais même efforcé de se documenter en premier lieu sur le féminisme, ce mouvement qu'il exècre de tout son être, mais dont il ignore visiblement tout. C'est de cette manière que procèdent les gens qui veulent eux aussi prendre part au débat, mais s'en voient totalement inaptes. Quand l'enjeu leur apparaît comme trop complexe et menaçant, ils peuvent toujours compter sur Google pour leur expliquer en quoi cet enjeu en est un insignifiant et de marde. 

Cet homme se veut également le leader d'un mouvement pro-fatshaming où il invite ses adeptes à immortaliser sur le vif des femmes en surpoids croisées dans un lieu public pour ensuite partager le cliché avec les membres de sa communauté sur les médias sociaux. Il explique dans un entretien avec Dr. Oz, qu'encore une fois, il a initié ce mouvement pour contrer les campagnes d'acceptation qui selon lui ne contribuent qu'à encourager les gens à sombrer dans la malbouffe et la sédentarité. Sur cette idée aussi il rejoint aisément les nombreux commentaires rencontrés régulièrement sur les médias sociaux, non? Un énième prétexte pour déverser sa bile sur les femmes en surplus de poids et de s'affranchir de tout sentiment de culpabilité. On s'en tire plutôt bien quand on prétend le faire pour leur propre bien, right? Comme si vraiment Roosh V, ses adeptes et les machistes qui prennent d'assaut tous les débats qui concernent la condition féminine se souciaient véritablement du bien-être de ces femmes. 

Alors voilà, si les habituels antiféministes ne se sont pas rangés derrière Roosh V cette fois c'est fort possiblement qu'on a dressé de lui le portrait d'un homme indéfendable — ils auraient eu l'impression de se montrer en faveur du viol — alors qu'en temps normal, s'il n'avait pas eu aussi sale réputation, peut-être bien qu'il aurait pu trouver chez nous de nouveaux adeptes. Des Roosh V, des oppresseurs qui jouent à la victime, qui demandent à ce qu'on parle d'humanisme plutôt que de féminisme, qui te pointent que le taux de suicide est plus élevé chez les hommes que chez les femmes, nous en côtoyons à tous les jours et le discours de ce gourou masculiniste ne diffère pas vraiment de celui de ces derniers, c'est seulement qu'il y a eu malentendu ici: il leur suffirait d'investiguer un peu pour réaliser qu'en fait ce Roosh V partage des idées similaires aux leurs, qu'il maquille l'odieux pour le rendre acceptable et déguise sa haine des femmes en nobles intentions pour ainsi mieux sévir. 

Restons vigilant-e-s.