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Le Détesteur: le lion Cecil et l’inertie des non-végans

Dans la foulée de la guerre qui venait d'être déclarée au dentiste américain ayant illégalement chassé le lion Cecil au Zimbabwe, une critique a trouvé bon nombre de preneurs sur les médias sociaux: il ne faudrait pas disqualifier systématiquement les non-végans en leur mettant sous le nez leur évidente incohérence afin de s'élever moralement au-dessus de ceux-ci. Toujours selon cette critique, on aurait beau relever une hypocrisie en pointant le régime omnivore de tous ces gens qui pleurent le meurtre d'un seul animal, il y aura quand même toujours une indignation plus légitime et plus importante qu'une autre. 

Je suis d'accord. 

D'abord, je ne suis pas encore tout à fait végan mais bien végétarien alors me voilà, moi, hypocrite, dépouillé de mon droit de frapper sur la tête du meurtrier de mon nouveau boy Cecil. Pas vraiment. Mais en tout cas, comme j'en suis encore à consommer du fromage, il serait franchement malhonnête de ma part d'accuser les non-végétariens d'un côté de se montrer dégoûtés par cette histoire et de l'autre de ne pas fournir les mêmes efforts que moi à réduire mon impact sur la vie animale et l'environnement. Les végans pourraient aussi bien à leurs tours pointer de semblables incohérences dans mon discours puisqu'eux n'en mangent pas de produits dérivés d'animaux alors que, pour l'instant, moi oui.

Bon, maintenant que ça c'est réglé, je réclame malgré tout mon droit de nous pointer du doigt pour notre hypocrisie et notre inertie. Come on. Ne passons pas à côté: ceci demeure quoi qu'on en pense du spectacle. 

Avant de nous révéler l'identité du lion et son inestimable valeur, les médias auraient bien fait de nous mettre à l'épreuve pendant quelques jours en nous présentant l'histoire ainsi: un lion abattu par un chasseur au Zimbabwe. Le minimum d'info, rien d'autre. Juste pour voir si vraiment la compassion pour l'animal aurait été la même. Puis, au bout de quelques jours, on nous aurait largué les détails qui forcent les larmes à couler sur les joues et les poings à se serrer de colère: un élégant lion, espèce en voie de s'éteindre, qui possède le nom d'un humain, une identité, et qui, à ce que l'on dit, est une véritable vedette dans son hood. Le chasseur, quant à lui, un dentiste américain qui débourse une importante somme pour pouvoir tuer, comme ça, pour le plaisir. 

Nous sommes là, devant les écrans, à attendre qu'on nous prenne par la main, qu'on valide avec nous si oui ou non il s'agit d'un cas de panique internationale, d'une tragédie. Un lion abattu? C'tu bin bin grave, ça? C'est pas commun au Zimbabwe la chasse aux lions? J'y connais rien. Ah non? Ah bon, ok. AH, mais il s'appelle Cecil. Ouf ok oui. Protégé, outch. Une vedette? Il a de la valeur pour les gens là-bas? AH OK OUI C'EST UNE VÉRITABLE TRAGÉDIE ALORS. QUELQU'UN VIENT D'ABATTRE CECIL LE LION.

C'est vrai que son lynchage était bien mérité, esti de douche, pareil, le chasseur. Reste que hey, peut-on quand même espérer que cette histoire qui a enflammé les médias sociaux ait pu déclencher un déclic dans la tête des indignés? Est-il possible d'inviter les gens à réaliser qu'eux-mêmes contribuent à un plus grand massacre quotidien d'espèces qui elles ne sont ni des figures de proue, ni ne portent de prénom, ni même ne connaissent la lumière du jour? Froidement assassinées à vif pour le plus grand plaisir gustatif de l'humain qui pleure un lion. Je m'explique mal en quoi il serait cheap de profiter de cette tragédie pour souligner les incohérences. Comme si le timing n'était jamais le bon pour se sentir mal et se questionner sur tout le tort qu'on arrive pourtant si aisément à justifier quand nous en sommes nous-mêmes les fautifs. 

C'est certain que quand tout a été soigneusement disposé comme à la lutte où dans un coin nous avons le bon et dans l'autre le méchant, à peu près tout le monde se voit apte à prendre part au débat et à déposer son grain de sel. Un tueur, un corps inerte et sans vie. Facile. 

L'histoire de Cecil, au fond, c'est un peu comme la culture du viol: il est facile de croire et de s'indigner de cet inconnu armé, creepy, sauvage et bedonnant qui aurait agressé une femme dans une ruelle sombre à 3AM alors qu'en réalité la plupart des cas qu'on s'obstine à vouloir invalider surviennent dans la chambre à coucher d'un ami, d'une connaissance, d'un homme récemment rencontré. Il est beaucoup plus simple d'avaler la version où l'accusé avait une arme en sa possession au moment du crime; un esti de malade qui sort des buissons. Comme ça, on n'est pas forcé de se casser la tête avec les ambiguïtés et les nuances.