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Le Détesteur: je ne suis pas très grand
Crédit: Fabienne Legault

Je ne suis pas très grand. Et c'est correct.

J'ai passé la première moitié de ma vie avec les deux yeux qui rejoignaient à égale hauteur ceux de mes camarades du primaire et du secondaire. C'est vraiment plus tard, une fois la vie adulte entamée de quelques années déjà, qu'on m'a fait remarquer que, non seulement je n'étais pas très grand, mais pour ajouter à l'arrogance, on insistait vraiment fort sur l'aspect problématique prétendument lié au fait que je n'atteignais pas les 5'8". Un handicap, quoi. Pire, un choix délibéré, une négligence quelconque, une conséquence à une inertie ou je ne sais trop. Comme un gros de qui on dit qu'il doit son état de santé à sa malbouffe. Ma grandeur, ma faute.

Pourtant, de mon côté, tout est beau. Tout l'a toujours été. Really. Les seuls moments où j'ai dû préciser que ma taille ne m'avait jamais occasionné de problème, c'est quand ceux qui en font une obsession ont prétendu l'inverse avec une insolente certitude. Autrement, je n'aurais jamais cru que cette phrase aurait fini par s'échapper de mes lèvres un jour puisqu'il n'y en a jamais eu d'handicap; cette idée n'avait même jamais traversé mon esprit. 

Ce n'est que dernièrement que ma grandeur semble avoir été soumise à une récente obsession collective, qu'on ne se gêne même plus pour laisser paraître qu'on cherche à imposer sa suprématie sur les gens, spécialement les hommes, plus petits. 

Un ami ou un autre laissera entendre avec toute l'assurance du monde qu'il m'est plus difficile de connaître du succès auprès des femmes, celles-ci, toutes, préférant les grands aux petits. S'il est vrai que certaines femmes préfèrent les hommes grands, comme certains hommes préfèrent les petites, il est insensé, voire sexiste, de prétendre que toutes les femmes sont les mêmes. Et comme si je n'avais pas été sur le terrain pour vérifier ces absurdités anyway; la vérité c'est que jamais cela ne m'a paru comme un obstacle. 

Dans la culture populaire, l'homme se doit désormais d'être grand, comme la femme se doit d'être svelte. On ne se gêne même plus pour se moquer des hommes de taille moyenne ou en deçà. Dans les jeux télévisés dédiés à la séduction, on nous vend ce standard d'homme grand comme le seul qui puisse être acceptable; comme si une femme méritait mieux qu'un pauvre et pathétique 5'6" dysfonctionnel. On ressent tout le mépris, la raillerie. Quelques femmes racontent à même le texte descriptif qu'elles ont fourni sur Tinder qu'elles n'en peuvent plus de tomber sur de décevants dudes qui ne rencontrent pas les critères de grandeur qui nous sont de plus en plus présentés comme une évidence, un prérequis auquel chacun aurait nettement avantage à obéir avant de s'abonner à un site de rencontre, par exemple.

On parle de moins en moins de la taille comme d'une préférence physique propre à tous et à toutes et ce qui n'était initialement pas un problème tend à le devenir tranquillement à force de le rentrer de force dans la tête des non-privilégiés qui jusqu'à présent pouvaient avancer sans qu'on ne leur rappelle à toutes les occasions qu'ils ne sont pas grands et que c'est donc bin drôle.  

Je vous déteste.

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