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«Le profil Amina», une histoire d’amour virtuel qui met en lumière des conflits bien réels
Crédit: Les Films du 3 Mars

Le profil Amina, long métrage documentaire de la réalisatrice Sophie Deraspe (Les Signes Vitaux, Les Loups), nous replonge en 2011, dans la foulée du printemps arabe, mais plus précisément en Syrie, alors qu’une jolie blogueuse américano-syrienne du nom d’Amina Arraf attire l’attention du monde entier en se proclamant lesbienne et ennemie du régime de Bachar Al-Assad sur son blogue A Gay Girl in Damascus (Une fille gaie à Damas). Seul hic: Amina est en réalité un Américain hétérosexuel dans la quarantaine.

Deraspe nous présente la Montréalaise Sandra Bagaria, qui a fait un premier contact avec ladite Amina via Internet. On apprend que la jeune Syrienne l’a rapidement séduite, au fil de messages érotiques et même d’échanges de photos explicites. Mais peu à peu, c’est plus qu’une histoire de sexe virtuelle qui s’est installée entre elles: Sandra est carrément tombée sous le charme de cette Amina au caractère fort, qui défend ses opinions avec intelligence et est prête à tout pour se libérer de l’oppression du régime syrien. Les entrées de blogue se font nombreuses et Amina gagne des sympathisants autour du globe et au sein de la communauté LGBT. Mais un beau jour, Amina disparaît. On la croit enlevée par la police secrète syrienne. «Est-ce que quelqu’un a déjà vu Amina?» est la question qui surgit suite au succès fulgurant du blogue, qui prend encore plus d’ampleur suite à la disparition de la jeune blogueuse révolutionnaire.

«Cette histoire parle de notre époque, des identités en ligne, de la façon dont on souhaite entrer en lien avec l’autre, qu’on cherche des amis, des solidarités, des intérêts communs et surtout la façon dont on s’informe du reste du monde», relate Sophie Deraspe. Même Sandra Bagaria, sa copine d’origine française, a connu son idylle par un contact virtuel. Alors que Sandra tente de comprendre qui était réellement Amina, le documentaire entraine le spectateur dans ce qui se veut une enquête aux quatre coins du monde, donnant la parole à des journalistes des plus grands quotidiens (The Guardian, The New York Times) et à des activistes qui l’appuient. On découvre qu’il n’existe absolument aucune trace d’Amina, si ce n’est qu’un amas de données et de photos empruntées.

Deraspe a voulu illustrer les fantasmes entourant l’avatar Amina, lui créer une image propre. Plusieurs séquences nous montrent cette mystérieuse femme dans des poses sensuelles, marchant de dos dans une rue sombre, ou répondant à un texto de son amante tout en entretenant le mystère sur sa réelle identité. Le contenu virtuel est parfois montré, parfois suggéré de façon judicieuse, comme les «pops ups» qui se traduisent ici par une écriture accompagnée des sons qui nous sont familiers.
Les Films du 3 MarsMot d'excuses du bloggeur Tom MacMaster sur le site A Gay Girl in Damascus
Le point faible de ce film serait d’avoir voulu présenter cette histoire du point de vue de Bagaria, victime d’une trahison virtuelle, tout en voulant conserver la forme d’un documentaire classique. Bien qu’on ressente de l’empathie envers la jeune femme, il n’en demeure pas moins qu’on ne se sent pas interpelé par son combat, puisque le personnage d’Amina disparaît complètement à la moitié du film. On aurait voulu que ce pont fictif nous transporte jusqu’à la résolution, pour bien comprendre le cheminement et les réflexions de Bagaria. Comme nous le disions, derrière ce blogue se cachait un Américain à l’imagination tordue. Le point culminant du film est la confrontation entre Sandra et le réel auteur de son fantasme, Tom MacMaster. Tout le tragique de cette rencontre n’est malheureusement pas traduit à l’image, et on se surprend à espérer un retour à la fiction, trop peu exploitée.
 
«Amina exprimait des choses vitales et cette histoire met en lumière notre façon d’interagir [NDLR: en tant qu’Occidentaux]. On cherche rapidement l’amour, la satisfaction érotique, ou à savoir ce qui se passe à tel endroit, donc les médias aussi nous offrent ça. Par conséquent, ils ne vérifient pas leurs sources.» Par cette grande supercherie de notre histoire contemporaine, Deraspe met en lumière les dangers liés aux médias sociaux et comment l’information nous est désormais relayée par les médias, sans contre-vérification des sources. La réalisatrice redonne la parole aux vrais combattants dans cette guerre: les blogueurs, activistes et autres défenseurs de la liberté d’expression, qui sont bien vivants et veulent être entendus.
 
Le profil Amina prend l'affiche au Québec le 10 avril. À Montréal, il sera présenté en version française au Cinéma Excentris et en version anglaise au Cinéma du Parc.

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