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Le mot de la rédactrice: itinérance

Qu’on se promène sur St-Laurent vers Ontario, au métro Place-des-Arts, ou vers le Square-Viger, l’itinérance à Montréal fait partie du décor. Quand les jours froids s’installent, mon cœur se serre en pensant que l’hiver sera long et dur pour les gens qui vivent dans la rue. Comment imaginer dormir dehors par -20 degrés? Imaginez-vous rentrer chez vous un soir glacial de janvier, mais sans trouver une maison pour vous accueillir. Cette sensation de ne pas avoir de toit me donne le vertige. Les hommes et les femmes qui vivent dans la rue sont des héros. Il faut avoir la couenne sacrément dure pour survivre à ça.
 
L’itinérance est le fruit d’un «résultat». Perte d’emploi, séparation, isolement social : quelques bad luck et on peut se retrouver dans la rue. Cela peut arriver à tout le monde et plus vite qu’on ne le pense et les visages sont multiples. Depuis les 20 dernières années, celle-ci s’est transformée. L’archétype du «jeune» itinérant punk avec ses chiens n’est plus actuel. On constate désormais l’apparition de faciès nouveaux, la présence de communautés culturelles issues de l’immigration, des sans-statuts, etc. La présence autochtone s’est également diversifiée et a fait place à l’arrivée de différentes communautés. Le vieillissement de la population a aussi fait basculer plusieurs individus qui étaient en extrême précarité dans l’itinérance et la maladie.
 
Qui sont donc ces gens qui vivent dans la rue de façon temporaire, épisodique ou chronique? D’où viennent-ils ? Quelle est leur histoire ? Comment est-ce encore possible en 2015 à Montréal ? Combien sont-ils ?  Et comment pouvons-nous leur venir en aide ?
 
« Je compte MTL 2015 »
 
Mardi soir, 1068 bénévoles, divisés en 170 équipes, se sont partagés un quadrilatère très précis du territoire et des refuges de la ville. Ils ont arpenté les rues afin d’effectuer un recensement des personnes itinérantes. Commandé par le maire Coderre dans le cadre de son plan d’action en itinérance, ce dénombrement est effectué en association avec le Centre Douglas, les YMCA et les cinq grands refuges pour sans-abri de Montréal. Il a pour but de cerner la réalité itinérante à Montréal afin d’identifier les besoins et les solutions pour la contrer.
 
Le dernier dénombrement de la population itinérante remonte à 1996-1997 et avait été réalisé à l’aide d’une toute autre méthodologie. Pendant une année, le gouvernement québécois avait comptabilisé la présence des personnes dans les centres et leur utilisation des ressources disponibles. Incluant la majoration de 12 000 personnes (itinérance cachée), le rapport de l’époque établissait un parachute autour de 30 000 personnes en situation d’itinérance. Depuis, les intervenants du milieu se basent sur ces chiffres, à défaut d’en avoir des plus récents. Il était temps de mettre les pendules à l’heure !
 
Questionnaire
 
«Est-ce que vous avez votre propre domicile fixe où vous pouvez passer la nuit si vous voulez ?», ainsi étaient abordés tous les passants rencontrés sur la rue. Si les gens répondaient non, la suite s’articulait ainsi : « Où pensez-vous passer cette nuit ? ». Les options mentionnées : véhicule, bâtiment abandonné, dehors, hôtel, etc.  Est-ce la première fois ? Depuis combien de temps ? Et ainsi de suite. Des questions permettant de compiler une foule d’informations sur les causes de l’itinérance, des données démographiques, l’utilisation des services et bien plus.  
 
Le milieu en désaccord ?
 
En entrevue avec NIGHTLIFE.CA, Bernard St-Jacques du RAPSIM (Le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal) affirme que l’organisme est plutôt critique à l’égard de ce recensement. Il déplore que celui-ci soit erroné et ne parvienne pas à donner le véritable reflet de la réalité, et donc, de définir les services adéquats à déployer. L’itinérance cachée n’est pas complètement prise en compte : « On oublie les jeunes qui se louent un 3  1/2 et le partagent à 20 en hiver, ceux qui profitent du couch surfing et se promènent d’un appartement à un autre, etc. ». Sans être complètement contre, les intervenants du RAPSIM se demandent comment on arrivera à réfléchir aux besoins et interventions nécessaires, si on sait dès le départ que le résultat ne représente pas la réalité.
 
James McGregor reconnaît que le portrait qu’offre cette «photo» prise en une soirée et 2 jours est peut-être incomplet, mais le fait d’avoir des chiffres permet de mobiliser des ressources et de les concentrer dans la recherche de solutions.  « L’avantage de cette méthodologie, c’est que l’on peut la reproduire rapidement et facilement et tracer une évolution. Même si ce n’est pas parfait, c’est comparable entre ville et rapidement ». Selon lui, « l’organisation du RAPSIM craint que les chiffres mènent à une baisse de ressources ou à une nouvelle allocation de celles-ci, mais mon pari est d’obtenir le plus d’informations pour les transmettre au gouvernement».  Plusieurs membres du RAPSIM ont par ailleurs participé au recensement.
 
Les résultats seront livrés à la mairie à la fin juin. L’administration décidera du moment où elle les rendra publics. «Cela sera intéressant de voir ce que les chiffres vont raconter», termine James McGregor.
 
Situation encourageante !
 
Peut-être que ce dénombrement ne représentera pas avec exactitude la population itinérante à Montréal, mais il me semble faire état d’une volonté politique du maire et d’une mobilisation autour de l’itinérance que je trouve rafraîchissante. Il témoigne aussi d’une progression de la collaboration entre le milieu universitaire et communautaire. Les acteurs du milieu doivent travailler main dans la main.
 
En terminant, je me demande souvent quoi faire quand je croise une personne itinérante. Lui donner de la monnaie ? M’arrêter pour discuter ? Lui acheter un lunch ? Continuer mon chemin ? Très honnêtement, cela varie aussi selon mon humeur et mon emploi du temps. Si je suis pressée ou non. Une chose est certaine, tant pour McGregor que pour St-Jacques, le plus important est de les saluer. De reconnaître les gens et de les voir, car le plus difficile, c’est l’isolement et le jugement. Me semble que ça, c’est pas trop compliqué à faire !
 
 

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