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Le Détesteur: ce que la dernière année m’a fait réaliser à propos des hommes

J'avais cette très bonne amie au secondaire qui me parlait d'un ami à moi qui espérait plus d'elle. Rien à foutre de l'amitié. Photo de pénis non-sollicitée, harcèlement. Pas intéressée, lui oui et trop. Jalousie même si non-réciprocité des sentiments. Colère, slut shaming, etc.

Le truc c'est que cet ami-là, je l'estimais beaucoup. Apprendre ce que je venais d'apprendre sur lui impliquait qu'il y avait un deuil à faire. Voyons donc, lui? Un autre, OK. Mais ce gars-là précisément, nope, impossible. Trop gentil, trop de considération pour tout. Mais pourtant, oui. C'est seulement que je ne connaissais pas son dark-side, je ne savais pas combien il pouvait se convertir en supra creep une fois derrière son écran. Seul. Avec sa tête, son érection et une absence d'inhibition.

Internet au fond c'est une espèce de GHB pour les hommes. Tous les symptômes y sont à l'exception que l'intoxiqué se transforme en prédateur plutôt qu'en proie.

Au fil des ans, j'ai entendu des histoires similaires ici et là à propos de connaissances, inconnus et/ou figures médiatiques. Beaucoup de cas de «Voyons donc, esti!».

J'ai aussi appris, de fil en aiguille, que plus de 45% des gens qui ont partagé avec moi l'autobus jaune qui nous transportait jusqu'à l'école primaire ne bénéficiaient pas tout à fait, à ce moment-là, de la même enfance que la mienne. Ce n'est que plus tard au courant de ma vie adulte que j'ai su qu'ils avaient été battus ou violés.

Disons que j'ai dû réajuster ma vision du monde un brin. On passe notre vie à devoir le faire, à découvrir qu'on avait peut-être vécu dans le mensonge pendant un moment.

Puis sont arrivés dans mon oreille les premiers témoignages d'agression sexuelle, de sexe sans consentement. J'en ai parlé dans cette chronique et mon inbox fut aussitôt submergé. J'en ai parlé une autre fois et une autre. Je n'arrivais plus à fournir avec tous les témoignages d'agression récoltés, encore moins à gérer les vives et violentes réactions d'hommes qui pour une raison que j'ignore encore se sont investis d'une mission de responsabiliser les victimes de leurs propres viols.

Avec tout ceci, la conception que je m'étais fait de la vie ne pouvait évidemment plus demeurer intacte.

Ensuite, on le sait, il y a eu l'affaire Ghomeshi et celle de Cosby et c'est le monde entier qui sous la bannière #BeenRapedNeverReported (#AgressionNonDénoncée) s'est vu forcé d'ouvrir grand les yeux à son tour.

On a levé le voile sur la misogynie, la culture du viol, le sexisme (ordinaire ou non), le catcalling, pour ne nommer qu'eux.

Et en parallèle à tout ça, je menais, pendant une année entière, une expérience sociale dans laquelle j'entretenais sur vidéo un personnage qui partageait une vision de la vie très peu conventionnelle sans toutefois causer préjudice à qui que ce soit. Je t'ai peut-être même fait sourciller à plus d'une reprise. (J'explique la démarche ici, tu risques de mieux comprendre)

L'idée impliquait notamment de documenter les réactions en temps-réel.

En tout, j'estime avoir reçu au-dessus de 80 000 messages et commentaires injurieux. Parmi ceux-ci, plusieurs menaces de mort ont été recensées, menaces de me blesser grièvement, harcèlement, intimidation, incitation au meurtre, incitation au suicide, homophobie, body shaming et jugements de valeur étaient également de la partie. Des gens ont même pris en photo des rues voisines à la mienne pour me laisser savoir qu'ils étaient à ma recherche au beau milieu de la nuit.

Le plus fascinant, pour ne pas dire inquiétant, c'est qu'une grande partie des 80 000 étaient des hommes. Pendant un an, défilaient sous mes yeux exaspérés les prévisibles Maxime, Jonathan et Robert qui allaient prendre le temps de m'expliquer qu'on devrait me régler mon cas. Et assez régulièrement, on me précisait comment et où.

J'ai connu mon lot quotidien de creeps. Et sur ce coup, je peux valider: les creeps, c'étaient que des hommes. Tantôt de parfaits inconnus, d'autres fois l'ami d'un ami ou encore un ex-collègue. Juste là, dans mon inbox, à laisser libre cours à tout ce qu'il y a de plus sombre à l'intérieur d'eux sans même se douter que tout était documenté.

Cette dernière année, celle où je me suis mis en danger de manière constante et délibérée, celle où les femmes ont finalement brisé le silence, m'a permis de valider, et non plus de seulement savoir vaguement parce qu'on me l'a rapporté, cette peur des hommes, cette méfiance dont il est souvent question.

J'ai été confronté aux harceleurs, aux narcissiques et aux violents qui m'ont donné un accès direct à leurs têtes, quand ils sont seuls, à l'abri des regards et qu'ils se comportent en animaux dans l'espoir d'exercer un contrôle, de faire craindre le pire. Il y en a eu tellement que j'en suis venu à me demander si, fondamentalement, tous les hommes étaient des creeps. 

J'arrive maintenant mieux à imaginer mon gentil ami se transformer en monstre une fois derrière son écran. Je peux à présent appeler cette vieille copine, quelque 15 années plus tard, pour lui dire: Ok. I get it, now. Je t'ai toujours cru, je l'ai toujours su, mais maintenant, I get it.

Si j'avais à résumer en quelques mots la dernière année combinée à l'issue de mon expérience, j'irais probablement avec quelque chose comme: tout ceci est absolument fucked up. Nul besoin d'avoir recours aux théories du complot pour découvrir combien notre monde est actually fucked up quand il y a tout ça.

Tous les hommes sont-ils des creeps? Évidemment pas. Mais regardez-vous aller, les gars. Deux secondes. Prenez le temps de vous regarder, de regarder les autres.

Ce que j'ai vécu au courant des 12 derniers mois, toute cette violence, m'a jeté à terre et je me demande encore quand j'aurai le courage de me relever. 

Je vous déteste.