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Oh les beaux jours ! : Catherine Frot jouissive en grande première sur une scène du Québec
Crédit: Pascal Victor

Un des événements théâtraux les plus attendus de la saison est arrivé, le Théâtre du Nouveau Monde nous présente Oh les beaux jours! de Beckett mettant en vedette Catherine Frot sous la direction du metteur en scène Christian Paquien.

 
Beckett, si vous ne le connaissez pas, c’est le père de l’absurde. Durant 10 ans, il s’est détourné de sa langue maternelle, l’anglais, et a utilisé le français dans ses écrits. Cette démarche plutôt farfelue, il faut se le dire, découle d’un désir d’« appauvrir davantage » son langage. Nabokov un auteur américain avait décrit le français de Beckett comme étant aussi rigide que celui d’un maître d’école, l’opposant ainsi à sa plume anglaise qui « vous fait sentir la rosée de l’association verbale et la pousse des racines vives de sa prose ». Avec Oh les beaux jours ! en 1961, Beckett revient vers la langue de son enfance, vers l’anglais. Il y raconte l’histoire de Winnie, une femme dans la cinquante d’année qui est emprisonnée dans la terre à la taille. Lorsque les déplacements ne sont plus possibles, il ne reste que les mots pour toucher les gens et leur rappeler qu’on vit toujours. C’est à cette fin que Winnie use d'un babillage incessant qui à son grand damn laisse son mari Willie dans la plus grande passivité. À l’acte deux, Winnie est ensevelie jusqu’au cou, mais elle ne cesse pas de parler. Puisque les mots, « il n’y a que ça, iI faut continuer ». Sinon, il ne resterait que le silence.

Beckett décrit sa pièce ainsi : « Je me suis dit que la chose la plus terrible serait de ne jamais être autorisé à dormir, comme si juste au moment où on était en train de s’assoupir un grand “Dring” obligeait à rester éveillé ; vous vous enfoncez vivant dans le sol et dedans ça grouille, c’est plein de fourmis, et le soleil brille sans arrêt, jour et nuit, il n’y a pas un d’arbre […] il n’y a pas un pouce d’ombre, rien, que cette sonnerie qui vous réveille tout le temps, et tout ce que vous avez c’est deux ou trois bricoles pour vous regarder vivre. […] J’ai pensé qu’il n’y avait qu’une femme pour faire face à cette situation et sombrer en chantant ».

Et Winnie sombrera en chantant.

C’est Catherine Frot qui revêt le personnage de Winnie dans cette mise en scène de Marc Paquien. Alors que la Compagnie des petites heures lui proposait un rôle dans une pièce d’Harold Pinter, Frot a sauté sur l’occasion de réaliser son fantasme d’actrice, et a proposé de monter la pièce Oh les beaux jours !. Jouer le personnage de Winnie était pour elle un rêve depuis qu’elle avait été impressionnée par la prestation de Madeleine Renaud dans ce rôle.

Dès sa création à Larochelle en 2012, Oh les beaux jours ! a été acclamée à Paris, en Province et maintenant, au Québec. La compagnie des petites heures a d’abord passé à Québec pour trois soirs au théâtre de la bordée, pour finalement s’installer sur la scène du TNM pour six représentations qui affichent déjà complet.

Catherine Frot est jouissive dans le rôle de Winnie. À la fois malicieuse et fragile, comique et tragique, elle réussit à nous captiver malgré son immobilité durant son monologue de 80 pages, ou 1h30. «Ah ça, c'est l'étrangeté! c'est une vraie difficulté! Je cherche tous les soirs à la résoudre. C'est un sentiment qu'on partage avec le public et c'est très vertigineux.» confie Catherine Frot sur le sujet de l'immobilisation du personnage de Winnie. Pour elle, la salvation est le texte. Ce dernier est effectivement salvateur, quoi que très aride. Il n'y a pas d'action claire, les personnages attendent que le passe, que la fin vienne. Et lorsque la fin arrive, on en redemande!

Cette collaboration entre le Le théâtre de la bordée et le TNM s'inscrit dans le projet de Lorraine Pintal de faire jouer au Québec des metteurs en scène européens. Un très beau projet qu'on voudrait voir perdurer.

Oh les beaux jours!
Du 21 février au 26 février 2015
Au Théâtre du Nouveau Monde

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