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«Belles Sœurs: The Musical»: un classique québécois américanisé qui fera sourciller les puristes
Crédit: Germaine Lauzon dans "Belles Soeurs: The Musical" / Photo par André Lanthier

Si 1968 est l’année où la célèbre pièce de Michel Tremblay est née et que 2010 est celle où René Richard Cyr et Daniel Bélanger l’ont transformée en théâtre musical, 2014 sera celle où l’un des plus grands classiques de la dramaturgie québécoise a été revampé afin de rejoindre un public international (lire ici: faire plus «américain»). 
 

Est-ce que les nombreuses modifications rendent inintéressant le spectacle à l’affiche du Centre Segal? Bien sûr que non! Mais les adeptes de la première heure ne doivent pas s’attendre à retrouver une simple traduction de l’œuvre qu’ils ont vue et entendue au cours des dernières années.

À quelques détails près, l’histoire reste la même: Germaine Lauzon, femme issue du milieu ouvrier, remporte un million de timbres-primes qui lui permettront d’acheter la quasi-totalité du catalogue («full of cheap shit», dixit sa fille Linda). Pour venir à bout du collage des timbres, elle invite ses voisines et sa sœur Rose, sans passer le mot à sa sœur Pierrette la dévergondée, qui finira par débarquer comme un cheveu sale dans un jeu de quilles.
 Photo par André Lanthier
Le seul élément franchement différent de la trame narrative se résume au fait que la jeune femme enceinte qui rêve d’un monde meilleur («Je suis venue au monde par la porte d’en arrière, mais m’a donc sortir par la porte d’en avant») est Linda Lauzon, la fille de Germaine, et non la petite Lise Paquette, un personnage supprimé de la version anglophone.

Alors que la version francophone est un théâtre musical (mélange de chansons et de monologues distincts), l’équivalent anglophone tend vers la comédie musicale pure, si chère aux Anglo-saxons. Plusieurs portions des monologues originaux deviennent des chansons (aux textes parfois un brin naïfs), et les créateurs ont ajouté de brèves portions parlées, qui servent à contextualiser le propos (le contenu du catalogue selon Mme Brouillette, l’emprise du clergé sur les Canadiens-Français, etc.).

L’exercice est louable, dans un contexte où les producteurs veulent rejoindre un large public à l’extérieur des frontières du Québec. Mais ces modifications ralentissent le rythme et nous tiennent à distance des émotions brutes des Belles-Sœurs, à l’occasion.
Germaine Lauzon / Photo par André Lanthier
Qu’à cela ne tienne, le public reste captivé par les interprètes de haut calibre du musical. Astrid Wan Wieren (Germaine Lauzon), Geneviève Leclerc (Pierrette Guérin), Lili Connor (Des-Neiges Verrette), Élise Cormier (Linda Lauzon) et Lisa Horner (Lisette de Courval) sont de grandes chanteuses, en plus de posséder un véritable talent pour le jeu. Drôles, touchantes, nuancées et pleinement investies, elles offrent plusieurs moments magiques.

Quiconque est familier avec le style vocal des comédies musicales remarquera que les actrices-chanteuses sont parfaitement alignées avec les exigences du genre. On salue d’ailleurs leur capacité à marier leurs capacités chansonnières fort soutenues à la langue ouvrière de leurs personnages, qui impose un relâchement dans l’articulation et dans la gestion de leur voix, d’un point de vue morphologique.

Maladroite fin à l’américaine
Au lieu de terminer sur la déconvenue de Germaine Lauzon, qui n’accepte pas le réconfort de sa sœur Pierrette, les créateurs ont ajouté une chanson dans laquelle Germaine s’en prend à Sainte-Thérèse et aux timbres-primes, en tenant la main de sa fille et de sa «disgrâce» de sœur: sorte de catharsis anti-clergé et anti-matérialisme évoquant le concept du self-made-man de nos voisins du Sud. Les puristes avaleront mal cette finale. Mais le spectateur qui découvre les Belles Sœurs a toutes les raisons de tomber en amour avec elles.

Belles Sœurs: The Musical
Jusqu’au 16 novembre au Centre Segal | segalcentre.org

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